Trois éléments — l’hérédité du corps, de l’âme et le milieu moral — complétés par d’autres, comme l’expression de la mentalité de la famille dans la manière d’être courtois, dans la manière de converser, de décorer la maison, de cuisiner, de traiter les affaires, dans la manière même de concevoir les relations affectives, le mariage, les fiançailles, etc., tout cet ensemble constitue la tradition qu’une famille transmet.
Si ces forces peuvent être extraites, développées et affermies par la famille, la famille doit produire cette tradition.
Nous appelons lignée une famille qui produit ainsi une tradition : un type physique très continu, un type de constitution psychique et nerveuse très défini, un type de vertus — et parfois aussi de défauts — très définis, un système de vie, un style d’existence, tout cela très défini.
Lignée est une famille qui charrie avec elle une grande densité de tradition, sous tous ces aspects, et qui constitue un tout homogène et identique à lui-même à travers plusieurs siècles.
Les hommes passent ; la lignée demeure toujours la même, comme un fleuve où l’eau passe, mais qui reste toujours le même.
Cette notion de lignée doit être complétée.
Il n’existe pas de lignées seulement dans la classe noble, mais dans toutes les classes sociales.
Si la lignée est le produit naturel du développement de la famille, et si celle-ci est appelée, par les desseins de la Providence, à se développer, nous devons avoir des séries et des séries de lignées à tous les degrés de la hiérarchie sociale : lignées de boulangers, de princes, d’éboueurs, de joailliers, de chanteurs.
C’est l’ensemble de ces lignées qui constitue la nation — et la nation non seulement dans le présent, mais comme une continuité historique, dans le passé, dans le présent et dans l’avenir.
Le Brésil d’aujourd’hui est le même Brésil d’autrefois parce qu’il descend des mêmes lignées anciennes, conservant une identité de tradition.
Cependant, à mesure que ces lignées s’effacent et sont remplacées par de nouvelles, sans véritable tradition, il n’est déjà plus le même.
Il s’agit d’un processus multiséculaire.
L’Égypte d’aujourd’hui n’est déjà plus l’Égypte d’autrefois, car les lignées ne sont pas les mêmes.
Ce qui est né du féodalisme, tant dans les villes que dans les campagnes, fut un ensemble immense d’hommes qui formèrent des lignées.
Cet ensemble de lignées, et d’organisations fondées sur les lignées, est ce qui constitua proprement le Moyen Âge.
Ce qu’il eut de plus intrinsèque et de plus enraciné fut cette structure de lignées, vivifiée par l’esprit de famille.
L’Église aime et favorise les lignées
Pourquoi la Révolution déteste-t-elle cet ordre de choses ? Parce que c’est le moins égalitaire de tous.
L’affirmation selon laquelle les hommes ne sont pas seulement inégaux après leur naissance, mais qu’ils le sont avant même de naître, est abominable aux révolutionnaires.
Dans cette conception, en règle générale, l’avenir de l’individu est préétabli par l’usage que son libre arbitre fera — selon qu’il correspondra ou non à la grâce de Dieu — des richesses que l’hérédité a déposées en lui.
Même s’il en tire le plus grand parti, il ne sera jamais davantage que ce que ces richesses lui permettent. Or elles sont profondément inégales.
Nous arrivons ainsi à une inégalité héréditaire, qui est l’exact contraire de ce qu’affirma la Révolution française.
Elle voulut faire croire à l’égalité de tous les hommes. Elle toléra, faute d’autre solution, l’inégalité fondée sur le mérite.
Mais cette tradition, résultat d’un ensemble de mérites passés, qui confère à l’homme un avantage formidable sur les autres, cet élément d’inégalité, jamais elle ne le tolérerait.
L’inégalité fondamentale que nous affirmons est nécessairement liée aux lignées et à l’organisation de la famille.
La lignée est contre-révolutionnaire encore sous un autre aspect.
Prenons l’exemple d’un club : le Harmonia, à São Paulo, un club très distingué.
Il est purement artificiel, simplement conventionnel. Il pourrait s’appeler Lys Bleu, avoir son siège dans un quartier prolétaire et se composer d’autres membres.
La lignée, non : elle est ce qu’elle doit être, et ne peut pas ne pas être ainsi.
Elle constitue une sorte de personnalité collective propre à chacun.
Chacun sera pleinement lui-même dans la mesure où il sera intégré à sa lignée et développera les qualités qui lui sont propres ; il ne pourra être autre chose, il ne pourra vouloir pour lui-même ce qui appartenait aux princes de Condé.
Chacun ne parviendra à être que ce qu’il est, de la meilleure manière possible.
Si cette personnalité collective se rompt ou se trouve mutilée, c’est sa propre personnalité qui sera blessée.
Chaque homme ne peut pas ne pas faire partie de sa lignée.
Si celle-ci subit un amoindrissement, c’est lui qui en souffrira.
Sa mentalité en est un fragment.
Ce qui est naturel à la personne, c’est d’être intégrée dans un tout avec lequel elle a une conaturalité.
Les lignées et l’État
S’il existe une famille aux caractères bien définis, s’étendant en une parenté très lointaine mais fortement unie, dans laquelle tous ont la conscience vive d’être membres d’une même famille, chaque membre sera soutenu par un groupe social indépendant de l’État.
La famille est une puissance, un tout ; elle se meut indépendamment de l’État ; elle constitue une cellule avec laquelle l’État doit compter.
Ses membres ne dépendent pas d’instituts de prévoyance : s’ils s’appauvrissent, la famille les secourra.
Les parents constituent le milieu de leurs relations, qui leur assurent une position sociale, indépendamment de leur manière de se vêtir, etc.
Face à des institutions de cette nature, l’État peut peu.
Si quelqu’un est né dans une certaine lignée, l’État ne peut pas beaucoup le promouvoir au-delà de cela.
Une lignée définie est le facteur même de l’indépendance de l’individu : elle crée une barrière contre les arbitraires de l’État.
Dans une société riche en lignées, il existe des groupes sociaux très importants que l’État doit, à tout moment, prendre en considération.
Une société sans lignées, où il n’existe que des parentés vagues et où les familles s’effacent, c’est la société d’aujourd’hui.
Dans l’organisation féodale et médiévale, la matière première, ce sont les lignées.
Un, deux, dix siècles de continuité historique sont réalisés par ces lignées.
Il faut noter que les historiens s’accordent pour affirmer l’existence d’œuvres qui doivent être menées à bien par plusieurs générations : la fondation de certains pays, le développement de certaines politiques, la création de certaines sources de prospérité.
L’institution qui, de droit naturel, assure la réalisation de l’œuvre historique à travers les générations est la famille.
La lignée permet qu’au fil des générations une dynastie accomplisse une œuvre : qu’une famille de fondeurs de cloches perfectionne un certain type de cloches, qu’une famille de viticulteurs parvienne à produire un vin excellent, ou qu’une famille d’enseignants affine un système didactique incomparable.
Ce sont des œuvres de générations, et ce sont les œuvres les plus profondes de l’Histoire.
Par droit naturel, elles doivent être développées par des lignées.
Source : https://gloriadaidademedia.blogspot.com/2025/10/a-tradicao-familiar-as-estirpes-e-o.html
Photo : Peder Severin Krøyer, Public domain, via Wikimedia Commons