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L’enigme de la Bastille

Le 14 juillet 1789 marque le déclin de la vraie liberté. Cette Bastille de Saint-Antoine, devenue par la suite si tristement célèbre, a commencé à être construite en 1370, sous le règne de Charles V, dit le Sage. Elle n’est alors qu’une fortification destinée à protéger l’entrée de Paris des attaques ennemies par la porte Saint-Antoine.

Tout au long du siècle suivant, elle accueillera sporadiquement des prisonniers, du moins des prisonniers de guerre, ce qui n’empêchera pas les rois d’y organiser de grandes fêtes et d’y recevoir d’illustres visiteurs.

Une prison d’État

C’est le cardinal de Richelieu, pontife de l’absolutisme français, qui transforme la Bastille en prison d’État. Fernand Bournon a défini précisément ce qu’était une prison d’État dans l’Ancien Régime :

« Par prison d’État, du moins lorsqu’il s’agit de la Bastille, on entend l’emprisonnement de ceux qui ont commis un crime ou un délit qui ne figure pas dans le droit commun ; de ceux qui, à tort ou à raison, sont jugés dangereux pour la sûreté de l’État, qu’il s’agisse de la nation elle-même, de son chef, ou d’un groupe plus ou moins important de citoyens, groupe qui se réduit parfois à celui constitué par une famille.

Si l’on ajoute à cette catégorie de prisonniers certains personnages trop considérables pour être punis d’un délit de droit commun à l’égal d’un criminel ordinaire, et auxquels il a paru qu’un emprisonnement exceptionnel devait être réservé, on croit n’avoir omis aucune des classes de délits qui ont été expiés à la Bastille depuis Richelieu jusqu’à la Révolution » (La Bastille, Imprimerie Nationale, Paris, 1893, p. 117).

La Bastille, une garantie de liberté

Le roi, dans l’exercice des fonctions de chef suprême des familles de son royaume, que l’Ancien Régime considère comme inhérentes à la couronne, envoie également à la Bastille des membres de la noblesse dont le comportement ne rencontre pas l’approbation de leur famille. Ainsi, le jeune duc de Fronsac, futur duc de Richelieu, est emprisonné dans la vieille forteresse « parce qu’il n’aimait pas sa femme ».

A l’origine, l’emprisonnement à la Bastille, comme la libération, dépendent exclusivement d’un « ordre du roi », c’est-à-dire d’une lettre de cachet, ce qui signifie qu’ils ne résultent pas d’un processus judiciaire régulier.

Les contemporains n’y ont pas vu la manifestation d’une odieuse tyrannie, comme on aurait pu le supposer. Pour ne pas nous étendre sur l’explication de ce fait, nous nous contenterons de retranscrire l’exposé magistral de Funck-Brentano sur les lettres de cachet :

« L’autorité royale était, par son existence même, la condition essentielle de la liberté en France, et la lettre de cachet était le seul moyen que possédait le roi pour affirmer cette autorité. Grâce à ce pouvoir latent, qui existait partout et sans se manifester par des faits tangibles, les milliers et milliers d’autorités locales étaient maintenues en équilibre. Et, de peur d’abuser de leur pouvoir, elles étaient préservées de l’anarchie dont les menaçaient leurs conflits et souvent leurs enchevêtrements. On en arrive à la conclusion, sans doute un peu inattendue, que les lettres de cachet constituaient dans l’ancienne France les ossements de la liberté » (El Antiguo Regimen, Ediciones Destino, Barcelona, 1953, c. XI, p. 337).

En outre, à partir de la seconde moitié du XVIIe siècle, la Bastille est placée sous l’autorité d’un personnage au caractère nettement judiciaire, véritable magistrat, mais également investi de fonctions administratives : le lieutenant de police. Il entre dans la prison quand bon lui semble, établit une communication directe et constante avec les prisonniers et inspecte l’ensemble des locaux au moins une fois par an.

Désormais, 24 heures après leur entrée à la Bastille, les prisonniers doivent être interrogés par un commissaire du Châtelet, le tribunal de la vicomté de Paris. Cet ordre est scrupuleusement respecté, à quelques exceptions près – les prisonniers qui attendent deux ou trois semaines pour se présenter devant le magistrat.

Le commissaire du Châtelet, après avoir pris connaissance des notes qui lui sont adressées par le lieutenant et interrogé le prisonnier, transmet le procès-verbal de l’interrogatoire, accompagné de son avis motivé sur les raisons de l’arrestation, au lieutenant lui-même, qui décide du maintien de la détention. Dans les cas les plus importants, une commission spéciale de magistrats interroge les détenus. On ne peut donc plus dire que les détenus de la Bastille ne sont pas jugés.

Une fois l’injustice de la prison reconnue, un nouvel « ordre du roi » ordonne la libération du prisonnier. Et le mieux, c’est qu’il est indemnisé, soit par une forte somme d’argent, soit par une pension à vie, soit par un emploi public.

Sous le règne de Louis XVI, les conseillers du Parlement, juges de la plus haute cour de justice de France, inspectent la Bastille avec la même liberté que les autres prisons. Enfin, le ministre Breteuil stipule qu’aucun mandat d’arrêt ne doit être accepté par le lieutenant de police sans indication de la durée et des motifs de la peine.

En 1785, les lettres de cachet sont pratiquement supprimées.

Par ailleurs, à partir du milieu du XVIIIe siècle, le Châtelet envoie à la forteresse de la porte Saint-Antoine, de sa propre autorité, sans l’intervention du roi, les accusés qui sont jugés devant ce tribunal, même pour des délits de droit commun.

En conséquence, la Bastille perd peu à peu son caractère de prison d’État, de prison du roi, et devient, bien des années avant la Révolution, une prison comme les autres, mais beaucoup plus douce, comme on le verra.

Nombre d’arrestations

Parallèlement à cette évolution, le nombre de détenus diminue. La forteresse ne peut accueillir que 42 prisonniers logés séparément. Sous Louis XIV, de 1660 à 1715, elle reçoit 2 228 prisonniers, soit une moyenne de 40 par an ; sous le règne suivant, de 1715 à 1774, le nombre passe à 2 567, soit une moyenne annuelle de 43 ; enfin, sous le règne de Louis XVI, il tombe à 289, soit une moyenne annuelle de 19.

De 1783 à 1789, la Bastille est presque déserte ; au moment de sa chute, elle abrite à peine sept prisonniers. Quatre d’entre eux sont jugés au Châtelet pour contrefaçon de lettres de change ; un autre, le comte de Solages, a commis un crime monstrueux et est enfermé à la Bastille par égard pour sa famille, afin d’éviter le scandale d’un procès. Les deux derniers sont fous.

Ainsi, la vieille forteresse se meurt. Pour cette raison, et parce que son entretien est trop coûteux, le gouvernement décide de la démolir. Les révolutionnaires du 14 juillet n’avaient fait que l’anticiper.

La vie à la Bastille

La principale particularité de la Bastille est qu’elle ne présente aucune des caractéristiques d’une prison au sens propre du terme. « Mon désir », peut-on lire dans les « Ordres du roi », « est que vous soyez conduits dans mon château de la Bastille ». Plutôt qu’une prison, il s’agit d’un solide château où Sa Majesté recueille ses sujets dont le comportement lui déplaît.

Première conséquence : un séjour à la Bastille ne déshonore personne, pas même les plus hauts personnages du royaume. Au contraire, il était peut-être « élégant » d’y avoir séjourné, puisqu’elle était de préférence réservée aux membres de l’aristocratie : le lieutenant de police D’Argenson parle de quelqu’un qui ne mérite pas assez de « considération » pour être envoyé à la prison royale.

C’est un point intéressant, que l’on a essayé d’oublier : la Bastille était destinée avant tout à la noblesse.

« Le 14 juillet, on prit la Bastille », écrit le Père Rudemare, « le 15, j’y allai par curiosité. Un homme de mauvaise vie me dit alors : « Vous ne direz pas, messieurs, que c’est pour nous qui travaillons à détruire la Bastille, mais pour vous, car nous autres misérables, nous n’y avons point d’entrée. Pour nous, Bicêtre…[un château abandonné] N’avez-vous pas quelque chose à boire pour votre santé ? »

Sebastian Locatelli, un prêtre bolonais qui a visité Paris à l’époque du Roi-Soleil et qui disposait d’excellentes sources d’information, écrit : « C’est une faveur spéciale du roi que d’être condamné à une si belle prison… Il y a là, bien sûr, des commodités et des plaisirs que tous les grands princes n’ont pas dans leurs propres palais, et une si grande liberté que les yeux peuvent jouir d’un paysage agréable. »

Le château possédait quelques cachots humides et étouffants, en partie souterrains. Sous Louis XIV, seuls les détenus de la pire espèce et les assassins s’y rendaient. Sous le règne de Louis XV, ils sont utilisés presque exclusivement pour les insubordonnés qui maltraitent les gardiens ou leurs codétenus, ainsi que pour les soldats de la garnison coupables d’indiscipline grave. Bien avant le 14 juillet, elles ne sont plus utilisées : depuis le premier ministère de Necker (1776-1778), il est interdit d’enfermer qui que ce soit dans les caves, et aucun des gardiens interrogés le 18 juillet 1789 ne se souvient d’y avoir gardé des prisonniers.

Les « hôtes » habitent les étages supérieurs, où ils disposent de vastes pièces aérées, dotées de grandes fenêtres (qui ne seront munies de barreaux qu’à la fin du règne de Louis XIV) et chauffées par des cheminées.

L’itinéraire d’un prisonnier

L’atmosphère de la Bastille n’étant pas exactement celle d’un camp de concentration moderne, il n’est pas nécessaire d’avoir recours à un grand dispositif militaire pour convaincre quelqu’un de s’enfermer dans ses murs. En règle générale, un officier de police notifie à l’intéressé « l’ordre du roi » et le conduit dans une voiture à étrier, en veillant à ce que la conversation ne se relâche pas pendant le trajet, car les policiers de l’époque connaissaient les règles de la politesse. C’est ainsi que le racontent plusieurs mémoires d’anciens prisonniers.

Les personnes de « qualité », averties par la lettre de cachet, se présentaient à la prison sans être accompagnées de membres de leur famille ou de domestiques. Parmi plusieurs exemples, on peut lire dans le journal de Du Junca, délégué du roi à la Bastille : « Monsieur de Villars, lieutenant-colonel du régiment d’infanterie des Vosges, est venu se rendre à la prison, ayant été arrêté dans la citadelle de Grenoble, d’où il est venu directement sans être conduit par personne », et que « Monsieur de Jones, Anglais », est venu d’Angleterre, en toute liberté, pour se constituer prisonnier de la Bastille.

À son arrivée à la forteresse, le nouveau prisonnier est immédiatement conduit devant le gouverneur, qui le fait asseoir pour parler un peu. À l’époque de Louis XIV, le gouverneur avait l’habitude d’inviter le nouveau prisonnier, ainsi que les amis ou les gendarmes qui l’avaient accompagné, à déjeuner ou à dîner à sa table. Pendant ce temps, le logement du nouveau venu est préparé.

Avec Monsieur de Courlandon, colonel de cavalerie qui se présente à la Bastille le 26 janvier 1695, un événement très désagréable se produit : comme il n’y a pas de chambre convenable pour le recevoir, il doit passer la nuit dans une auberge voisine, et ne peut être arrêté que le lendemain….

Après avoir demandé au prisonnier de vider ses poches (seules les personnes de basse condition étaient fouillées), et fait un paquet de son argent, de ses bijoux et de ses armes, il est emmené dans ses quartiers.

Le régime de la prison

Jusqu’à l’interrogatoire, le prisonnier était détenu au secret et seul, à moins qu’il ne soit autorisé à emmener un serviteur avec lui. L’administration accordait volontiers cette autorisation, allant jusqu’à payer non seulement la nourriture, mais aussi le salaire des domestiques, même dans le cas de prisonniers de classe inférieure.

On prend aussi la précaution de mettre deux ou trois parents ensemble dans la même chambre, pour éviter l’ennui de la solitude. Emu par l’isolement de Mme de Fontaine, qui n’avait aucun parent parmi les prisonniers, le lieutenant de police arrêta également son mari, ce qui était sans doute une mesure excessive.

Une fois l’interrogatoire terminé, les prisonniers sont autorisés à recevoir des visites de l’extérieur, le plus souvent en présence d’un officier de la garnison. En général, ils n’ont le droit de parler que d’affaires de famille ou d’intérêts, mais Bussy-Rabutin n’est pas le seul à traiter librement avec tous ses visiteurs et va jusqu’à offrir des dîners à ses amis de la cour.

Quelques prisonniers se voient refuser la permission de se promener dans les tours et les cours du château. Dans la cour intérieure, ils se réunissaient en grand nombre pour converser et divertir les visiteurs et les officiers de la garnison. C’était la vraie vie de cour, élégante, frivole et brillante.

En toute justice, il faut admettre qu’il était beaucoup plus rare qu’ils soient autorisés à se promener dans la ville, bien que plusieurs prisonniers en aient profité…..

Tout cela, bien sûr, quand il ne s’agissait pas d’une personne dont l’enfermement devait rester secret. Le prisonnier était alors maintenu dans un isolement complet et pouvait être contraint de porter un masque de soie pour ne pas être reconnu par les gardes (d’où la légende du masque de fer). Ces cas, qui concernent généralement des espions et des agents secrets, sont rares et il n’y a pas d’exemple sous le règne de Louis XVI.

Dans leurs chambres, les pensionnaires faisaient ce qu’ils voulaient : certains élevaient des oiseaux et des animaux, d’autres jouaient d’instruments de musique, d’autres encore chantaient, brodaient, cousaient, jouaient aux cartes et aux échecs. Les intrigues élégantes et politiques ne manquaient pas, tant elles étaient au goût de la cour.

Le mobilier

Au début, le mobilier des chambres n’était pas des meilleurs, pour la simple raison qu’il n’existait pas. Les prisonniers faisaient venir de chez eux les meubles qu’ils souhaitaient ou les louaient au tapissier du château. Pour ceux qui ne possédaient rien, le roi fournissait de l’argent, parfois des sommes importantes, qui leur permettait de décorer leur chambre à leur guise. Au début du XVIIIe siècle, certaines chambres sont meublées en permanence, si bien que sous Louis XVI, presque tout le monde dispose d’un mobilier, même s’il est modeste. Toutefois, les prisonniers conservaient le droit de demander à l’extérieur les objets qu’ils souhaitaient une fois leur interrogatoire terminé.

C’est pourquoi certaines chambres étaient même luxueuses. La chambre du comte de Belle-Isle, par exemple, possédait un service de table en lin fin, de la vaisselle en argent, un lit décoré de damas rouge avec des broderies d’or, quatre tapisseries, deux miroirs, une cheminée avec le même décor que le lit, deux paravents, des fauteuils, des chaises rembourrées, des tables, des commodes, des canapés, des candélabres en cuivre argenté, etc. Et pour occuper le temps libre, une bibliothèque de 343 volumes.

Apparemment, la question des livres était très importante. Si un prisonnier, même modeste, ne trouve pas dans la bibliothèque du château un ouvrage qui l’intéresse, l’administration ordonne de l’acquérir, même si cela coûte cher.

Au pain sec et à l’eau…

Mais « primum vivere… ». Avant de se livrer à leurs études, les sujets de Sa Majesté emprisonnés au château de la Bastille veulent nourrir leur corps (aux frais du Trésor royal, bien sûr). Et qu’est-ce qu’ils ont mangé ! Constantin de Renneville, emprisonné à la fin du XVIIe siècle, raconte dans le libelle qu’il a écrit contre la Bastille que son premier repas en prison a consisté en :
« Une soupe splendide de pois et de laitue, bien préparée et belle, avec un morceau de poulet ; dans un plat, une pièce de viande succulente, avec une sauce au persil ; dans un autre, un feuilleté accompagné de riz au veau ; des asperges, des champignons, des truffes, et comme dernier plat, un ragoût de langue d’agneau. Au dessert, des biscuits et des pommes. Le geôlier a eu la gentillesse de me servir le vin : c’était un excellent bourgogne ».

Tous les vendredis et pendant le Carême, les prisonniers devaient jeûner :
« Il se composait, dit Renneville, de six plats et d’une soupe de fruits de mer. Parmi les plats de poisson, il y avait toujours de la sole très fraîche, de la perche, etc. » Au bout d’un certain temps, Renneville commence à recevoir la pension des prisonniers de deuxième classe : « une bonne soupe de pain, un morceau de viande ordinaire, une langue de mouton en ragoût et deux tranches de gâteau au dessert ».

Tavernier, homme de basse extraction et accusé d’avoir conspiré contre la vie du roi, l’un des fous trouvés dans la forteresse le 14 juillet, reçut pendant le mois de novembre 1788, outre ses repas habituels : quatre bouteilles d’eau-de-vie, 60 bouteilles de vin, 30 bouteilles de bière, deux livres de café, trois livres de sucre, un dindon, des huîtres, des châtaignes, des pommes et des poires.

« Le gouverneur de Launey, dit Poultier d’Elmotte, venait souvent me parler ; il s’informait de la nourriture que je désirais et ordonnait ce que je voulais qu’on me servît. »

Le roi habillait également les pauvres prisonniers. Non pas, bien sûr, comme aujourd’hui, en uniformes de prisonniers, mais en manteaux rembourrés de fourrure de lapin, en vestes doublées de soie et en costumes de fantaisie, tous faits sur mesure. La femme du commissaire Rochebrune cherche dans la ville une robe de soie blanche à fleurs vertes pour répondre à la demande d’une prisonnière, Mme Sauvé.

« Monsieur le Commandant, écrit le prisonnier Hugonnet, les chemises qu’on m’a apportées ne sont pas celles que j’ai demandées, car je me souviens d’avoir écrit que je les voulais fines et avec des manchettes brodées, et celles qu’on m’a envoyées sont grossières, de toile grossière et avec des manchettes dignes d’un geôlier ; c’est pourquoi je vous prie de les rendre à l’intendant : qu’il les garde, elles ne me servent de rien…».

Jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, les prisonniers peuvent opter pour un mode de vie plus modeste et conserver ce qui reste de l’argent alloué à leur entretien. Certains ont ainsi pu amasser de petites fortunes. Désormais, l’argent doit être entièrement utilisé pour l’usage auquel il est destiné.

La liberté

Même si la vie à la Bastille est agréable, les prisonniers aspirent généralement à la liberté. La liberté, comme la prison, est le résultat d’une lettre de cachet.

Le gouverneur de la forteresse se rend dans la chambre du prisonnier pour l’informer qu’il est libre. Une fois les formalités accomplies, il sert à son ancien hôte un magnifique dîner d’adieu. S’il s’agit d’une personne de qualité, il l’invite à sa table et, une fois les adieux terminés, il le fait conduire dans sa propre voiture, l’accompagnant parfois jusqu’à sa destination.

Bien entendu, l’ordre de libération n’était pas toujours exécuté à la lettre. Si le prisonnier avait du mal à s’installer à l’extérieur, il était autorisé à rester plus longtemps à la Bastille, jusqu’à ce qu’il puisse organiser sa vie. Et cela s’est produit à plusieurs reprises. De nombreux anciens prisonniers – Le Maistre de Sacy, Mme de Staal [portrait ci-contre], Fontaine, l’abbé Morellet, Dumouriez, Renneville lui-même, entre autres – se souviennent avec nostalgie des moments heureux qu’ils ont passés au Château St-Antoine.

L’énigme de la Bastille

Voilà la vérité sur la Bastille. Elle est attestée par la compétence et l’autorité de l’éminent Funck-Brentano, dont les données historiques ont été extraites. Elle est étayée par les sources utilisées par cet historien, à savoir les archives de la célèbre prison d’État, constituées de milliers de documents rassemblés à la Bibliothèque de l’Arsenal à Paris, ainsi que les mémoires de nombreux anciens détenus. Comment la Bastille est-elle devenue un symbole d’oppression, de tyrannie et un synonyme d’emprisonnement cruel et inhumain ?

L’explication se trouve dans la propagande révolutionnaire, qui a d’ailleurs aussi réussi à diffuser une image frelatée de tant d’autres institutions de l’Ancien Régime.

Dès les dernières décennies précédant la Révolution, la légende de la Bastille avait pris racine dans l’imaginaire populaire.

« La Bastille, dit Restif de la Bretonne, était un épouvantail terrible, que je n’osais regarder quand, le soir, je passais dans la rue Saint-Gilles. »

Chevalier, commandant de la Bastille, s’adressant au lieutenant de police, commente les histoires qui circulent sur la prison :
« Même si elles sont complètement fausses, je les considère comme dangereuses parce qu’elles sont répétées depuis de nombreuses années… ».

Pour le reste, le mystère qui entoure la Bastille constitue un terreau fertile pour le développement de toutes sortes de légendes. Lorsqu’un prisonnier entre dans la forteresse dans un carrosse aux rideaux baissés, les soldats de garde doivent se tourner vers le mur ou baisser leur visière. Tout le personnel de la garnison était tenu de garder le secret absolu sur l’identité des prisonniers et sur leur vie. A sa libération, le prisonnier était invité à signer un engagement de ne rien révéler de ce qu’il avait vu à l’intérieur des formidables murs du château (notons au passage que beaucoup refusèrent de signer un tel engagement, sans pour autant retarder leur libération, tandis que d’autres racontaient à qui voulait l’entendre tout ce qu’ils savaient et beaucoup de ce qu’ils ne savaient pas, et ne semblent pas avoir été inquiétés pour cela).

On a déjà dit que l’autorité du roi en France avant la Révolution était la condition même de l’ordre. Ses fondements étaient la tradition, l’amour et la crainte du peuple. L’amour des enfants pour leur père, l’autorité royale ayant historiquement pour origine l’autorité paternelle. Et une crainte tout aussi filiale, résultant plus de la grandeur, de la majesté et de la splendeur de la royauté que de sa force royale.

Présenter la Bastille comme un instrument redoutable d’oppression et de tyrannie est l’un des nombreux moyens utilisés par la propagande révolutionnaire pour diminuer l’amour du peuple pour le roi.

Mais d’un autre côté, cela augmentait la peur, qui était précisément le facteur de dissuasion pour ceux qui, étant la lie de la population, étaient les plus sûrs coopérateurs potentiels de l’œuvre révolutionnaire. En amenant cette même racaille à renverser ce qui leur était présenté comme le symbole du pouvoir royal, la Révolution a réussi à lui faire sentir la faiblesse du roi et sa propre force.

Ne respectant plus l’autorité paternelle du roi, le peuple cède à tous les excès et l’anarchie s’étend sur tout le territoire français. Pour rétablir l’ordre, Napoléon va user d’une main de fer et créer le formidable appareil administratif et policier de l’État moderne.


L’importance réelle de la journée du 14 juillet 1789 réside dans le fait qu’elle a donné une impulsion considérable au passage de l’ancienne France traditionnelle et organique, avec ses libertés et ses franchises, à la France administrative et policière des temps modernes. L’énigme est qu’elle est encore commémorée aujourd’hui comme l’aube de la liberté.

Source : https://www.tesorosdelafe.com/articulo-2042-el-enigma-de-la-bastilla

Photo : Hubert Robert, Public domain, via Wikimedia Commons

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