En marge de l’histoire de l’abbaye, s’est déroulée celle de la Normandie. En 1066, Guillaume, dit le Bâtard, conquit l’Angleterre.
C’est pourquoi il est connu sous le nom de Guillaume le Conquérant, une grande partie de la noblesse anglaise étant d’origine normande. Plus tard, certains de ses descendants se distingueraient lors des Croisades, comme Richard Cœur de Lion.
Un autre Normand également conquérant fut Robert de Hauteville, surnommé Robert Guiscard, qui organisa une expédition vers le sud de l’Italie afin d’arracher toute la péninsule aux Byzantins et la Sicile aux Sarrasins.
Ainsi, les épées d’anciens barbares servirent la Chrétienté contre les infidèles.
« Dieu écrit droit avec des lignes courbes », dit un proverbe brésilien. C’est bien le cas ici. Un peuple barbare se civilisa et devint illustre.
La millénaire abbaye de Notre-Dame de Jumièges ne fut détruite qu’en 1790, plus de mille ans après sa fondation, par la haine des séides de la Révolution française.
Ses pierres furent mises en vente, comme s’il s’agissait d’une simple carrière. En visitant en 1835 ce qu’il restait de cet auguste monument, Victor Hugo fut impressionné par sa beauté.
De son côté, l’historien Robert de Lasteyrie du Saillant la considérait comme l’une des ruines les plus admirables de France. Encore de nos jours, elles attirent des milliers de visiteurs.
Comment une ruine peut-elle produire une telle impression sur les esprits ?
À Jumièges, vécurent des âmes qui embrassèrent la souffrance et l’anonymat par amour de Dieu. Elles y pratiquèrent l’humilité dans la prière, l’étude et le travail.
La Règle de saint Benoît considère l’oisiveté comme l’ennemie de l’âme. C’est pourquoi elle prescrit aux moines d’alterner, à des heures fixes, prière, lecture spirituelle et travaux manuels. Ora et labora est la devise de l’Ordre.
Ainsi, en plus du chant de l’Office et des autres prières communautaires, une partie de la journée bénédictine est consacrée au travail manuel — sans lequel la communauté ne pourrait subsister.
Et chaque monastère doit pouvoir subvenir à ses propres besoins, afin de conserver la liberté dans la pratique de la Règle et de la vertu.
De même, le travail intellectuel est indispensable, sans lequel les moines ne pourraient cultiver leur propre âme. C’est pourquoi beaucoup d’entre eux passaient une grande partie de leur temps à lire et à copier des manuscrits.
Cela explique pourquoi les monastères devinrent des centres de vie intellectuelle et des foyers de sainteté, en plus de former de véritables artistes dans l’art de la copie et de l’enluminure.
L’Ennemi par excellence de tout ordre, de tout éclat, de toute hiérarchie, de toute harmonie, de toute inégalité — et donc de toute diversité entre les êtres de la Création — est ce que le Professeur Plinio Corrêa de Oliveira a désigné comme étant la Révolution. (Révolution et Contre-Révolution, Catolicismo n°100, avril 1951)
Là où règne l’amour des inégalités harmonieuses et proportionnées, il y a ordre. Là où il y a ordre, il y a amour de Dieu, car Il est l’Auteur de toutes les inégalités justes et proportionnées.
Les Normands ont aimé les inégalités et l’ordre né de l’Europe médiévale. C’est pourquoi ils ont compris la grandeur de la religion chrétienne, c’est-à-dire catholique, apostolique et romaine.
C’est aussi pour cela que la Révolution française, sous toutes ses phases et formes, fut l’ennemie la plus nuisible à la Chrétienté en ce qui concerne l’ordre temporel.
Tout comme l’est aujourd’hui, à l’égard de la vraie religion catholique, le soi-disant progressisme, ennemi de toutes les saines inégalités et, par conséquent, ennemi de Dieu lui-même.
Et lorsque l’on aime Dieu l’épée à la main, comme le fit sainte Jeanne d’Arc, ou le chapelet à la main comme tant de saints, on comprend la valeur du combat.
Quand on aime Dieu au point de donner sa vie pour Lui, l’âme dégage, pour ainsi dire, un parfum propre qui touche et conquiert tous les cœurs.
Seule une âme qui a su lutter et souffrir, comme celle de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, peut en conquérir d’autres pour la vraie Église, aujourd’hui dévastée par les ennemis intérieurs les plus abominables de tous les temps.
Dans le contexte de la France — et même de la France révolutionnaire actuelle —, la Normandie est un jardin, au cœur duquel s’épanouit une fleur : sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus…
Représentant le rôle de sainte Jeanne d’Arc, elle fut une vaillante combattante, l’épée à la main, contre les infidèles. Mais surtout, elle fut l’héritière des contemplatifs de Jumièges, conquérants d’âmes et de héros.
(Auteur : Gabriel J. Wilson, in “Catolicismo”, juin 2016)
Source : https://catedraismedievais.blogspot.com/2016/09/abadia-de-jumieges-onde-oracao-dos.h
Source photo : Zairon, CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons