La TFP dit "NON" à Maastricht Un traité illisible : peut-on l'approuver ?
L'ORCHESTRATION joyeuse qui enveloppait dès le début la ratification du traité de Maastricht par les pays signataires donnait l'impression qu'on allait vers une approbation massive de toute l'Europe. A condition d'aller vite, la victoire des artisans de l'Union européenne semblait assurée.
Soudain un trouble-fête s'est présenté. Il a suffit qu'un pays prospère, cultivé, organisé, mais peu étendu, le Danemark, dise « NON » pour que toute l'Europe en soit secouée à tel point que le président Mitterrand se soit senti contraint de convoquer les Français à un référendum.
Empêcher la méfiance de faire tache d'huile dans l'opinion de tout le continent devenait désormais impossible. Pour nombre d'électeurs pro-Maastricht, une question s'insinuait : le traité correspondait-il vraiment à leurs souhaits et avaient-ils réellement compris ce qu'ils allaient approuver ?
Le caractère notoirement indigeste du texte signé par les chefs d'Etat et de gouvernement des Douze compliquait encore le débat. Pour l'homme de la rue, le traité est en effet difficile à comprendre en raison de l'ambition et de l'imprécision de ses nombreux objectifs, de la portée des avantages et des risques qu'il entraîne, enfin de la complexité des mécanismes qu'il met en oeuvre.
La confusion s'aggrave avec le langage utilisé dans le traité. Plus un problème se révèle ardu, plus la clarté de son exposition s'impose. Celle-ci requiert parfois la création de termes techniques définis de façon cristalline, elle bannit les ambiguïtés, les feintises, les atermoiements trompeurs. C'est précisément cette clarté qui fait défaut aux textes de Maastricht. Le malheureux lecteur en éprouve une sorte de vertige : il a beau s'efforcer, il n'y comprend rien, ou presque.
De cette tour de Babel paneuropéenne, ressort donc une nouvelle « confusion des langues » de nature à troubler l'électeur et lui retirer l'envie de voter. A peu de jours du référendum, une partie importante de l'électorat pense encore s'abstenir. En outre, les électeurs favorables à Maastricht croient souvent avoir entrevu dans la pénombre la silhouette d'une Europe de rêve en faveur de laquelle ils s'apprêtent à voter, par épuisement ou saturation, toutefois sans certitude.
Ce caractère énigmatique du traité n'est-il pas un artifice des « maastrichiens » pour couvrir le fond du débat, pousser à l'abstention ceux qui ne sont pas très au fait de la question, et attirer vers le « oui » les électeurs les plus sensibles à une propagande irrationnelle ?
Dans ces conditions, la Société Française pour la Défense de la Tradition, Famille et Propriété — TFP considère de son devoir d'alerter ses compatriotes, tout spécialement ceux qui seraient tentés par l'abstentionnisme, sur les risques graves qu'une éventuelle ratification du traité de Maastricht ferait courir au reste de civilisation chrétienne en France et en Europe. Elle leur fait appel pour émettre un « NON » lucide et résolu le 20 septembre prochain.
Pour s'en tenir à l'essentiel, cette analyse montrera comment le « oui » à Maastricht entraînerait la France dans un itinéraire dont le but est la plus grande transformation structurelle de son histoire, et même éventuellement sa disparition comme nation indépendante :
• par l'abandon, à cette étape du processus, d'importantes parcelles de souveraineté au profit des institutions communautaires ;
• par le renforcement d'une structure économique et politique antidémocratique, dirigée par une nomenklatura de technocrates ;
• par la formation ultérieure d'un pouvoir supra-national européen régissant une masse humaine sans identité, sur la voie de l'utopie d'un gouvernement mondial.
Pour l'opinion, Maastricht se dévoile chaque jour davantage : ce n'est rien d'autre qu'une étape provisoire mais osée, ainsi que pratiquement irréversible, dans la gestation des « Etats-Unis d'Europe » rêvés par le président Mitterrand et d'autres fédéralistes utopiques issus des plus divers secteurs idéologiques.
Une souveraineté en lambeaux n'est pas une souveraineté : c'est un leurre
POUVOIR suprême et inconditionnel, la souveraineté ne peut être fractionnée en parcelles, destinées à des puissances étrangères ou à quelque organisation internationale. Car, dans ce cas, elle est à la merci des détenteurs des parcelles transférées.
Tel est d'ailleurs le présupposé de ceux qui célèbrent l'œuvre unificatrice et centralisatrice des rois de France. Tant que ces monarques ne détenaient pas un plein pouvoir sur tout le territoire, sans aucune exception même petite, il ne pouvait y avoir de France maîtresse d'elle-même, ni de rois entièrement souverains.
Dans le cas des fédérations, comme les Etats-Unis et l'Allemagne, l'autonomie dont jouit chaque Etat fédéré n'implique pas un transfert de souveraineté. Car le pouvoir autonome de chaque Etat reste surplombé par le pouvoir fédéral suprême. Lorsque les Constitutions fédérales ne l'établissent pas de façon explicite, il est sous-entendu que le pouvoir fédéral suprême peut rappeler à lui les parcelles d'autonomie disséminées dans les unités de la fédération, si le tout était menacé de fragmentation. Le pouvoir fédéral est naturellement investi du droit et de l'obligation suprêmes de sauvegarder cette unité radicale et essentielle de la souveraineté nationale.
Souveraineté et autosuffisance militaire
L'indivisibilité naturelle ressort lorsque l'on considère qu'un pouvoir souverain ne peut d'aucune manière renoncer à sa capacité de se défendre ou d'attaquer, sur simple décision de ses autorités, avec l'emploi exclusif de sa propre armée, de son propre potentiel militaire, avec pour seules bases d'opération les points stratégiques de son propre territoire ; autrement dit, de décider par soi-même la manière de disposer de ses ressources et de son sol, pour le bien du pays, en respectant la morale et les traités internationaux. Dans le cas contraire, un Etat se trouve gravement mutilé dans sa souveraineté et, le cas écheant, irrémédiablement anihilé dans son pouvoir souverain.
La souveraineté exige l'intégrité culturelle du pays
Cette indivisibilité se fait sentir aussi de façon prononcée en ce qui touche à l'intégrité culturelle d'un pays. « Il existe une souveraineté fondamentale de la société qui se manifeste dans la culture de la nation », a affirmé Jean-Paul II, à Paris, devant l'UNESCO, le 2 juin 1980. Il ajoutait : « Veillez, par tous les moyens à votre disposition, sur cette souveraineté fondamentale que possède chaque nation en vertu de sa propre culture. Protégez-là comme la prunelle de vos yeux pour l'avenir de la grande famille humaine. Protégez-là ! Ne permettez pas que cette souveraineté fondamentale devienne la proie de quelque intérêt politique ou économique. » (Allocution à l'UNESCO, 2 juin 1980, n. 15, « Insegnamenti di Giovanni Paolo II», vol. III-1, Libreria Editrice Vaticana, 1980, p. 1648).
Le jour où un pouvoir international quelconque voudrait priver les Français de certaines traditions de l'art culinaire (fromage ou gavage des oies...), au nom de règles arbitraires d'hygiène ou d'écologie ; ou de la libre disposition de certains de ses chefs-d'oeuvre (Arc de Triomphe, Notre-Dame de Paris, par exemple), de richesses de son patrimoine historique (les manuscrits de Bossuet), au nom de la préservation du patrimoine culturel de l'Europe ou de l'humanite, notre pays serait en droit de se sentir plus mutilé que s'il devait céder le Territoire de Belfort —alors que dans ce dernier cas, notre patriotisme et notre sens commun nous fassent juger comme point d'honneur de faire face à une guerre meurtrière pour le conserver. Cela équivaudrait, pour l'Egypte, à céder à l'UNESCO ses droits sur les pyramides ou le Sphynx de Gizeh.
Que de sang notre peuple n'a-t-il versé, simplement au cours de ce siècle, pour la défense de notre identité nationale, de notre souveraineté morale et culturelle, de nos frontières historiques ! Pour leur intégrité, toute une jeunesse a marché allègrement au massacre sur les grands fronts de combat : elle estimait que cela valait plus que sa propre vie.
La souveraineté nationale part en lambeaux
Quelle différence entre ces braves et les négociateurs de Maastricht qui ont permis, allègrement eux aussi, que la souveraineté française devienne la proie d'obscurs intérêts politiques et économiques !
Dans son actuelle rédaction, le traité envahit le domaine spécifique des souverainetés nationales sur plusieurs points capitaux :
1) Il instaure une monnaie unique administrée par une banque centrale européenne indépendante des gouvernements, éliminant les monnaies nationales (titre II, art. 102 A et suiv.). Cela implique un transfert de souveraineté monétaire. Sur ce point, le traité a un caractère obligatoire et irrévocable. Une fois adopté, il ne peut être modifié par les Etats contractants, et doit être suivi à la lettre, en respectant les délais fixés. Pour la monnaie unique, le traité concède la possibilité d'une dérogation transitoire. Mais, aussitôt cette dérogation abrogée par la CE, l'imposition de la monnaie unique devient automatique et sans appel.
« Veillez, par tous les moyens à votre disposition, sur cette souveraineté fondamentale que possède chaque nation en vertu de sa propre culture. » Jean-Paul II, à Paris
Ce n'est pas tout : « Avec la monnaie, c'est l'ensemble des instruments de politique économique (budget et revenus) qui pourrait échapper, à terme, aux élus nationaux. Difficile en effet d'imaginer une monnaie unique sans une politique budgétaire commune » (Le Monde, numéro spécial août-sept. 1992, « l'Europe de Maastricht », p. 5).
2) La politique étrangère et de sécurité commune (PESC) veut permettre à la Communauté de s'exprimer d'une seule voix dans tous les domaines de la politique étrangère et de la sécurité (titre V, art. J. 4,1). Elle introduit à cet effet des mécanismes communs de politique extérieure et de défense, sur la base d'une coopération entre gouvernements, en vue d'une abolition ultérieure des relations extérieures indépendantes de chaque nation et de la fusion des différentes armées en une seule.
Dans certaines de ses dispositions, le traité va au-delà du mode de fonctionnement actuel de coopération entre des Etats souverains selon lequel toutes les décisions doivent être prises à l'unanimité. Il dispose que : a) lorsque le Conseil des ministres européen aura statué que certaines « actions communes » seront conduites non plus à l'unanitnité mais à la majorité qualifiée, les décisions s'imposeront aux Etats membres (donc avec ou contre leur consentement) ; b) chaque Etat membre devra soutenir, au sein des organisations internationales et lors des conférences internationales, les positions communes (éventuellement opposées aux siennes propres, dans le cas de figure envisagé précédemment) ; c) chaque Etat membre devra éviter « autant que possible » de faire obstacle à l'unanimité lorsqu'une majorité qualifiée sera favorable à une décision (sic !).
Mitterrand et Kohl, pour leur part, anticipant la ratification, se sont mis d'accord à La Rochelle, en mai dernier, sur la création d'un corps d'armée « à vocation européenne », destiné à « doter l'Union européenne d'une capacité militaire propre », sous le label de l'UEO, Union de l'Europe occidentale, choisi par Maastricht. L'accord de La Rochelle consent à ce que la Bundeswehr installe « des éléments d'état-major en France ». Ce sera « le premier contingent de la Bundeswehr à être stationné durablement en France » (Le Monde, 21/5, 24-25/5 et 23/6/92).
3) En matière de politique intérieure (titre VI, et titre I, dispositions communes, article B), Maastricht renforce le processus amorcé par les accords de Schengen sur l'abolition des frontières internes entre certains pays de la Communauté. Le pays perd ainsi d'importants moyens de contrôle sur une eventuelle vague migratoire en provenance du Sud ou de l'Est qui pénétrerait en France à travers un pays voisin. A partir de 1996, la politique commune de visas atteindra une nouvelle phase : la liste des pays dont les ressortissants devront obtenir un visa pour entrer sur te territoire communautaire sera modifiée par simple majorité qualifiée. A ce propros, le Conseil constitutionnel a déjà émis l'avis selon lequel la politique de visas est susceptible de porter des « atteintes fondamentales à notre souveraineté ».
4) En matière sociale, Maastricht a mis en route une véritable politique conventionnelle au niveau européen. Les domaines où il est possible de recourir au vote à la majorité qualifiée pour l'adoption d'une directive ont éte sensiblement étendus. En plus de la santé et de la sécurité du travail, ils concernent aussi les conditions de travail, l'information et la consultation des salariés, l'égalité professionnelle hommes-femmes et l'intégration des chômeurs.
« Et les effets de ces décisions ne sont pas négligeables », disent Marie-France Garaud et Philippe Séguin. « La France a dû dénoncer la convention qui la liait à l'Organisation internationale du travail, et par laquelle elle s'engageait à respecter le principe de l'interdiction du travail de nuit des femmes, au motif que ce principe est incompatible avec les directives communautaires sur l'égalité absolue des sexes... » (« De l'Europe en général et de la France en particulier », M.-F. Garaud et Ph. Seguin, Le Pré-aux-Clercs, 1992, p. 188).
5) En matière d'environnement, Maastricht est encore plus ambitieux. Le traité ne se contente pas d'une politique limitée au territoire communautaire. Il veut élaborer une ligne de conduite commune face aux problèmes planétaires de l'environnement. Relevons au passage qu'il se base sur le dangereux principe « dit de précaution » prêché par les Verts radicaux : principe selon lequel il ne faut pas attendre les résultats de la recherche scientifique pour agir. Là aussi, Maastricht substitue à l'ancienne règle de l'unanimité la règle générale du vote à majorité qualifiée, au moins dans le domaine normatif.
6) Le traité établit une « citoyenneté européenne » donnant droit, pour commencer, aux ressortissants d'un pays de la CE de voter et d'être élus dans tout autre Etat membre, aux élections municipales et au Parlement européen (titre II, art. 8 à 8A).
7) Le traité est si contraignant qu'il n'assure même pas aux Etats membres le droit de s'en retirer. Une fois entré, on n'en peut sortir. En effet, aucune clause n'envisage cette possibilité et a fortiori ne donne la méthode pour ce faire.
« II y a beau temps qu'il y a eu des transferts de souveraineté de la France à l'Europe, c'est-à-dire à la Communauté » François Mitterrand
En vertu du droit des gens, les nations peuvent de façon légitime nouer des alliances — et notamment des alliances économiques qui créent des mécanismes comme ceux de la CE — la condition imprescriptible que celles-ci soient réversibles. Mais une alliance perpetuelle et irréversible représenterait une chausse-trape où disparaîtraient pour toujours les pouvoirs suprêmes des Etats contractants, caractéristiques de la pleine et véritable souveraineté nationale.
En résumé, Maastricht accentue dramatiquement le processus économico-politique par lequel la France se transforme peu à peu d'un pays indépendant et souverain en une simple unité autonome sous la tutelle d'un pouvoir fédéral européen. Le président de la République, François Mitterrand, le reconnaît allègrement « II y a beau temps qu'il y a eu des transferts de souveraineté de la France à l'Europe, c'est-à-dire à la Communauté. Cela a commencé dès la signature du traité de Rome, ce n'est pas nouveau (...) on a constamment délégué des compétences nationales. Eh bien, on va continuer » (Le Monde 14/4/92).
Aggravation de l'épineux problème de l'immigration
Mais le traité de Maastricht ne se contente pas d'absorber par le haut les souverainetés nationales au profit des instances communautaires. Il favorise aussi les situations qui les minent par le bas, en troublant l'intérieur de chaque pays.
L'ouverture des frontières internes entraînera l'aggravation des flux migratoires incontrôlés sur le continent. Elle favorisera l'établissement d'importants continents de population qui ne s'assimilent pas aux nations d'accueil, mais obéissent à d'autres moeurs, lois et autorités.
On n'est pas loin de voir s'instaurer un véritable Etat dans l'Etat. Déjà, l'Institut musulman de Londres réclame « un Etat islamique non territorial, doté d'un Parlement capable d'édicter des lois propres et d'émettre des condamnations à mort. Cet institut invoque l'existence de « 400 000 foyers musulmans britanniques » qui seraient en quelque sorte de « mini-Etats musulmans » servis par un millier de mosquées. Un des prétextes allégués est de lutter contre les « vices » de la société européenne (Passages, novembre 1990). Pendant ce temps-là, l'écrivain Rushdie mène une vie de transfuge dans son pays, « condamné » à mort pour des offenses au Coran.
Ainsi, dans une situation extrême — mais à quels extrêmes ne nous conduira pas l'ouverture irresponsable des frontières promue par Maastricht ! — l'augmentation de l'immigration peut être telle qu'en certaines zones, une banlieue par exemple, on assiste à l'instauration pratique de la Charia (la loi coranique) en raison d'une éventuelle majorité locale de musulmans et qu'y entre en vigeur, comme dans certains pays islamiques, l'interdiction de ce convertir à une autre religion que le Coran. Et cela, sous peine de mort, bien que la laïcité soit un principe de base chez la plupart des Douze.
Pour un lecteur peu averti, ces perspectives peuvent paraître exagerées. Malheureusement, le martyre actuel de chrétiens dans certains pays musulmans prouve le contraire.
Une construction foncièrement anti démocratique
SELON l'idéologie républicaine, le peuple est détenteur du pouvoir souverain. Ce n'est plus le cas lorsqu'une parcelle de l'autorité se trouve sous l'empire de groupes ou de clans internes. En langage actuel, de nomenklaturas.
Quand ces clans politiques crient haut et fort que le pouvoir appartient toujours au peuple, cela ne suffit pas pour autant à préserver authentiquement sa souveraineté.
Des super-pouvoirs en gestation évoluant vers une physionomie inconnue
Dans un Etat démocratique, la Constitution doit énumérer et décrire les divers organes du pouvoir public. Elle doit définir aussi leurs droits et devoirs réciproques ainsi qu'à l'égard des individus. Elle doit préciser enfin les droits et les devoirs de l'individu envers le nouveau pouvoir, et des individus entre eux.
Cependant, telle n'est pas la réalité de la construction européenne. Dans l'état actuel, les institutions communautaires se présentent comme les organes d'un corps humain en gestation. La forme et la fonction propre de chaque organe y sont marquées par le provisoire. Tous les organes sont en devenir et, dans le cas présent, évoluent suivant un plan inconnu, vers une forme encore mal définie.
Ce fait a même été reconnu par le président de la Commission, le plus haut organe exécutif de la CE, Jacques Delors « La construction européenne n'a pas commencé par un énoncé clair de ce que serait, en fin de processus, la répartition des pouvoirs. (...) Il en résulte des déséquilibres dans l'exercice des compétences, qui se sont souvent exacerbés... » (Interventions au Colloque de l'Institut européen d'administration publique à Maastricht, le 21 mars 1991).
Devant ce processus de gestation continuelle, on trouve de temps en temps un apprenti sorcier capable de deviner, d'après l'aspect général de l'oeuvre, ce qu'elle deviendra une fois parvenue à son terme. Cette déduction, qui a la valeur d'une hypothèse plus ou moins probable, est corroborée par des aspirations intuitives et discrètement « prophétiques » exhalées par tel ou tel enthousiaste inconditionnel de Maastricht. Et rien de plus.
Qu'y a-t-il de démocratique en tout cela ? Du point de vue institutionnel, très peu de chose.
« Nous avons trop longtemps fait l'Europe en catimini, en cachette », a reconnu le ministre delégué aux Affaires européennes, Elisabeth Guigou. « On a mal informé sur l'Europe », a renchéri le député centriste Nicole Fontaine, pendant la réunion du Mouvement européen à Rennes (Le Monde, 19/6/92). Le député européen centriste Simone Veil a admis : « Les gens se sont sentis exclus du processus comme si quelque chose se tramait contre eux » (Le Monde, 14-15/6/92).
Un empilement de problèmes non résolus
Pour des raisons qui tiennent à l'histoire de son élaboration, dit « Le Monde », l'Union européenne est faite d'éléments disparates : les uns sont déjà ou seront « communautarisés », comme on dit. (...) d'autres secteurs d'activité restent au contraire de nature essentiellement interétatique » (Le Monde, numéro spécial, p. 11). Cela provient de Ia divergence de fond des différents architectes quant à la nature finale de la construction européenne : une Europe fédérale ou une Europe des nations ?
A en juger par l'ambiguïté intentionnelle du traité de Maastricht, ainsi que par le caractère hybride et inachevé des institutions qu'il réforme ou établit, empiler les divergences de fond les unes sur les autres serait la meilleure manière de les résoudre. Car — diront les auteurs du traité — si on s'y attaque, on n'arrivera jamais à une solution. La façon de les résoudre serait alors de les ignorer, dans l'attente du jour ou l'amalgame pacifique de tant de dissonances créerait des formules nouvelles et des solutions originales.
Mais cette méthode pour résoudre les problèmes qui consiste à les ignorer, à décourager les spécialistes de s'en occuper — du moins en public — et à les passer sous silence dans les journaux : n'est-ce pas rechercher dans les marais de l'ignorance une solution rationnelle aux problèmes réels ? Est-ce cela traiter le peuple en « souverain » ?
Conditions pour la création d'une Union européenne authentiquement démocratique
Pour que l'implantation de l'Union européenne soit le fruit d'un processus véritablement démocratique, il eût été indispensable que les peuples concernés fussent préalablement instruits de la façon la plus précise et la plus ample sur les buts de cette Communauté et sur les moyens de la réaliser. Il eût été notamment nécessaire de décrire en toute clarté les organismes du gouvernement communautaire dans leur anatomie et physiologie finales, le mode de choix de leurs titulaires et la durée des mandats.
Ainsi informée, l'opinion des diverses nations européennes aurait pu discuter publiquement le pour et le contre de la constniction finale et de chacune de ses composantes. Il se serait ainsi créé un débat aux dimensions continentales, scellé par un référendum dans chaque pays. Là, oui, on aurait pu affirmer que la physionomie finale de la CE reflétait fidèlement le désir de l'opinion publique.
L'omission de n'importe laquelle de ces conditions disqualifierait l'authenticité democratique des résultats de la consultation populaire. Or, il suffit de refaire l'historique de la construction européenne pour constater ce dédain de la volonté des peuples. On pourrait nous objecter qu'une construction européenne menée avec une telle « transparence » serait par trop lente et dispendieuse, ce qui la rendrait irréalisable. L'objection est au moins discutable. Mais, si on devait s'y rendre, il faudrait conclure que la Communauté européenne ne pourrait être atteinte par un processus véritablement démocratique.
Cela, il serait alors indispensable de le dire en toute franchise et de consulter l'opinion européenne pour savoir si elle est décidée, pour atteindre l'objectif communautaire, à abandonner les voies démocratiques qu'elle s'est enorgueillie de suivre ces derniers siècles. Dans l'affirmative, qu'on l'interroge sur les voies nouvelles qu'elle préfère. Cette question aurait une importance historique, d'autant plus que la seule issue concevable serait l'établissement d'une oligarchie plus ou moins notoire, d'une nomenklatura, en dernière analyse.
Est-ce bien ce que désirent les peuples européens, qui se sont tant réjouis de la chute du rideau de fer ?
Pouvoirs absolutistes de la Commission
Par ailleurs, le caractère antidémocratique de la construction européenne est patent dans le modus operandi des institutions communautaires. La nature et la portée des règlements, des directives, des décisions et des recommandations — il faudrait peut-être mieux dire oukases — qui en émanent, demanderaient la plus grande vigilance des citoyens un tant soit peu attentifs.
Jean-Pierre Chevènement, socialiste et donc habitué à une excessive intervention étatique, se trouve froissé par le caractère totalitaire de la CE : « Loin de construire l'Europe des peuples, nous construirons l'Europe sans le peuple. Les super-hauts fonctionnaires qui forment la Commission des communautés européennes édictent des textes sans se soucier du consentement démocratique. Par exemple, en 1987, sans aucun contrôle démocratique, sinon quelques Conseils des ministres en forme de marathons, la Commission a émis 3 655 règlements, 23 directives et 4 212 décisions. Les règlements n'ont de règlement que le nom : ils pénètrent aussi bien le domaine de la loi que celui que nous appelons en droit interne du règlement. Les directives sont de véritables injonctions à la souveraineté nationale ; les législations doivent s'y conformer volontairement ou attendre qu’elles finissent par s'appliquer un jour automatiquement » (Le Monde, 7/11/91).
« En 1987, sans aucun contrôle démocratique, sinon quelques Conseils des ministres en forme de marathons, la Commission a émis 3 655 règlements, 23 directives, et 4 212 décisions » Jean-Pierre Chevènement
« Vous n'êtes plus en démocratie, mais dans une chausse-trape, a observé Michel Poniatowski. Le Conseil des ministres de la Communauté prend en embuscade les nations, leur droit et leur législation, et voyage incognito vers ses objectifs, le plus discrètement possible. (...) La situation empire plutôt depuis deux ans ; la Commission de Bruxelles use de tout le poids et de tous les artifices de la construction communautaire pour imposer ses vues, ses goûts, ses volontés au Conseil et aux Etats » (Figaro-Magazine, 16/9/89).
Jacques Delors lui-même a reconnu la « surréglementation » émanée de la Commission, qui est déjà allée jusqu'à élaborer une « directive » européenne sur l'usage des tondeuses à gazon l'après-midi et le dimanche (intervention au colloque de l'Institut européen d'administration publique à Maastricht, le 21 mars 1991) ou qui étudie des mesures contre les mauvais traitements subis par les poules pondeuses, la taille de leurs cages et les horaires d'éclairage du poulailler (Quotidien de Paris, 27/3/92).
Comme on peut le voir, cette masse de décisions, venues de si haut et capables de descendre à des détails si minuscules, met en échec des habitudes juridiques fondamentales de l'Occident. En effet, le principe de l'égalité devant la loi, véritable malgré les applications terriblement exagérées qui en ont été faites dans le passé, est tout bonnement omis par les institutions communautaires. Dans le développement du traité de Rome, les « décisions » du Conseil des ministres et de la Commission — instrument de l'exécution administrative du droit communautaire — sont applicables parfois à tous, mais dans d'autres cas, seulement à certaines catégories : Etat, entreprise ou individu (Cf. Emile Noël, « les Institutions de la Communauté européenne », Service des publications officielles des Communautés européennes, Luxembourg 1988).
Arrêtons-nous un peu à la conséquence extrême de cette étrange attribution de pouvoirs. Dans certains cas, la législation peut concerner un seul individu, ses conditions de vie et de travail. On en conclut que dans certaines occasions, cet individu peut se trouver face à un pouvoir tout-puissant, presqu'à la manière d'un ancien esclave face à son maître. Au moyen d'une loi qui ne vise que lui — une « privata lex », autrement dit un privilège — la Commission pourra lui ordonner ce qu'elle voudra.
« Toute nomenklatura attire des désaccords et des mécontentements que seules la censure et l'hypertrophie de l'appareil policier peuvent contenir»
Et cela s'est glissé, comme si de rien n'était, dans la législation du super-Etat européen en émergence, deux cents ans après la suppression de tous les privilèges, opérée en France au milieu des angoisses et du sang versé par la Révolution.
Election des autorités sans participation populaire
Dans un régime démocratique, les détenteurs des plus hauts pouvoirs doivent être spécialement désignés par le choix populaire. Pourtant, dans la structure de l'Europe de Maastricht, les membres des institutions à caractère technocratique (la Commission, la Cour de justice européenne et la Cour des comptes) — au pouvoir toujours croissant et bien supérieur à ce que les apparences pourraient laisser entendre — ne sont pas choisis par les « citoyens européens », mais nommés. Ils sont statutairement indépendants des Etats membres.
Dans le cas de la Commission, le Conseil européen désignera d'abord le président ; et avec lui, dans un deuxième temps, elle choisira dix-sept membres de cet organe décisif, qui seront nommés pour cinq ans. Chaque pays aura au moins un membre, et au plus deux. Enfin, cinq postes restants devront être occupés par des Européens insignes indiqués eux aussi par le président de la Commission et le Conseil européen.
En lisant cette construction, on éprouve le vertige, non celui des hauteurs, mais celui des complications. Il en découlera une multitude de pourparlers, de difficultés et d'intrigues politiques. Car ces cinq « archi-conseillers » seront, la plupart du temps, le fléau de la balance entre tel et tel groupe de nations. Le choix de ces cinq fera prévoir bien souvent l'orientation des délibérations de la Commission, dans un domaine ou un autre pendant le quinquennat.
Ce processus alambiqué de nomination n'a pas grand-chose à voir avec le suffrage populaire. Car les commissaires seront désignés par le Conseil des chefs d'Etat et de gouvernement, dont la plupart ne sont qu'indirectement élus. La participation populaire effective dans le choix de la Commission aura donc une authenticité des plus ténues !
L'eurocratie de Bruxelles : une soucoupe volante sans contact avec le sol électoral
Rien en outre ne garantit au public une information sérieuse et complète sur toutes les questions traitées par l'organe exécutif suprême, ni la possibilité d'exprimer son opinion à leur sujet. L'exercice de la démocratie, de cette manière, est non seulement touché mais entravé.
Et en effet, tous les analystes se plaignent du « déficit démocratique » des institutions politiques actuelles de l'Occident, dont la structure peut être comparée à un immeuble de plusieurs étages. Au rez-de-chaussée, se trouve le niveau municipal ; au premier étage, le niveau régional ; et au second, le national. Chaque étage semble occupé par des clans politiques, amis ou ennemis, qui se disputent le pouvoir, et cela jusqu'aux degrés suprêmes de la présidence du pays et du Conseil des ministres. Les passages d'un étage à l'autre paraissent se faire moyennant de simples « combinazzioni » politiques de clan à clan. Plus haut est l'étage, plus restreint est le clan. A tel point qu'au sommet de l'édifice, on doit avoir la sensation que l'Etat vole comme un planeur avec ses propres ailes, sans guère de contact avec la terre. Autrement dit, avec la réalité de la masse électorale.
Les institutions communautaires, politiques ou technocratiques, ne feront qu'ajouter un niveau à cet ensemble. Leurs membres auront forcément l'impression de planer à une hauteur correspondant moins à celle d'un avion que d'une soucoupe volante, et dans laquelle des instruments d'écoute et de vision super-puissants seraient indispensables pour discerner ce que pense, veut et réclame le vulgum pecus électoral qui se meut tout là-bas sur le sol.
L'inévitable nomenklatura maastrichienne
La structure politique, à la fois rigide et enchevêtrée, résultant de Maastricht est une chose si on l'imagine orientée à tous les échelons par des hommes sans intérêts économiques, idéologiques ou politiques. C'en est une autre si on la conçoit durigée, du haut en bas, non par des êtres abstraits et inhumains, mais par les hommes tels qu'ils sont, soumis à la pression de grands « syndicats » aux intérêts de tous ordres, en ces jours de convoitises personnelles effrénées et de confusion idéologique illimitée.
Pourra-t-on éviter qu'au sommet de cette Union européenne se forme une nomenklatura dirigeante comme l'a été, dans l'ex-URSS, la nomenklatura soviétique ?
Cette nomenklatura ne pourrait avoir que le caractère dictatorial et policier qui l'a caractérisée dans la Russie rouge. Car « abyssus abyssum invocat » (Ps. 42, 8) : l'abîme appelle l'abîme. Toute nomenklatura provoque des desaccords et des mécontentements que seules la censure et l'hypertrophie de l'appareil policier peuvent contenir.
Que chaque Français essaie de dresser la liste des différences entre l'Etat soviétique et ce régime dévorant — l'aboutissement logique de Maastricht —, et il sera probablement surpris de voir combien elle est courte.
Massification sous un super-gouvernement policier
Sans réel contact avec ses dirigeants suprêmes, ce vulgum pecus électoral ne comprend rien au fonctionnement compliqué de la machine politique communautaire, alors qu'il devrait être une pièce agissante — une cellule vivante, dirait-on dans l'Europe pré-maastrichienne. L'insignifiance croissante de son rôle — à lui, « peuple souverain » — va lui faire subir un processus énergique de massification.
La façon dont se produit cette massification, transformant l'individu en simple atome, se comprend aisément à la lumière de la distinction, devenue classique grâce à Pie XII, entre « peuple » et «masse» :
L'Etat ne contient pas en lui et ne réunit pas mécaniquement sur un territoire donné une agglomération amorphe d'individus. Il est, et doit être en réalité, l'unité organique et organisatrice d'un peuple véritable.
« Peuple et multitude amorphe, ou, comme on a coutume de dire, « masse », sont deux concepts différents. Le peuple vit et se meut par sa vie propre. La masse est inerte, et ne peut être mue que de l'extérieur.
Le peuple vit de la plénitude de la vie des hommes qui le composent, dont chacun — à la place et de la manière qui lui sont propres — est une personne consciente de ses propres responsabilités et de ses propres convictions. La masse, au contraire, attend l'impulsion du dehors, jouet facile entre les mains de quiconque exploite ses instincts et ses impressions, prompte à suivre tour à tour, aujourd'hui ce drapeau et demain, un autre. L'exubérance vitale d'un vrai peuple répand la vie abondante et riche, dans l'Etat et dans tous ses organes, leur infusant, avec une vigueur sans cesse renouvelée la conscience de leurs propres responsabilités, le sens vrai du bien commun. La force élémentaire de la masse peut n'être aussi qu'un instrument au service d'un seul, qui sait habilement en faire usage. L'Etat lui-même, aux mains d'un ou de plusieurs ambitieux, groupés artificiellement par leurs tendances égoïstes, peut, en s'appuyant sur la masse devenue une pure machine, imposer arbitrairement sa volonté à la meilleure partie du peuple : l'intérêt commun en reste lésé gravement et pour longtemps, et la blessure ainsi faite est bien souvent difficilement guérissable » (Pie XII, Radiomessage de Noël 1944, Discorsi e Radiomessagi », vol. XI, pp. 238-239).
On comprend bien alors que plus les traditions d'un pays s'affaiblissent, plus la résistance de son peuple aux facteurs de massification devient difficile. La mort des nations et l'omniprésence des masses compteront parmi les fruits de l'abolition des frontières et des souverainetés.
Derrière Maastricht, l'utopie d'un gouvernement mondial
UN courant d'utopistes attachés à dissoudre les nations en des entités aux contours de moins en moins définis, n'hésite pas à rêver — en guise de programme politique à appliquer coûte que coûte — d'une Europe de l'Atlantique à l'Oural, pour ne pas dire de Lisbonne à Vladivostok. Il veut empiler les grandes unités supra-nationales les unes sur les autres, formant ainsi des Babel politiques, des magmas humains au milieu desquels l'homme sombre dans l'anonymat.
Le terme de ce processus sera logiquement un super-gouvernement mondial. A mesure qu'il dévorera tout ce qui est vivant, personnel, régional et caractéristique, celui-ci exigera l'installation d'immenses « laboratoires » bureautechnocratiques de planification internationale, au service du « Big Brother » décrit par George Orwell dans « 1984 », où seule la date est erronée. Ce serait l'échelon suprême au-dessus des eurocrates de Bruxelles réduits dès lors à un rôle secondaire. De là partiraient vers tous les points cardinaux, vers New York comme vers Paris ou Singapour, vers Genève ou Brasilia, les mots d'ordre selon lesquels tous les hommes doivent, tout d’un coup, travailler ou se reposer, prier ou refuser la légitimité de toute religion, manger, faire du sport ou mêler leurs races.
Cette tendance s'est clairement manifestée au cours des travaux préparatoires du « Sommet de la Terre » tenu à Rio en juin dernier. En prétendant faire face à des menaces écologiques de caractère « planétaire », on y proposait ouvertement l'instauration d'un super-gouvernement mondial vert.
Cette même tendance apparaît dans certains projets des Etats-Unis d'Europe. Que l'on compare chaque nation européenne avec l'ensemble communautaire renforcé à Maastricht : les différences sont en tout point analogues à celles qu'on peut imaginer entre l'Union européenne naissante et une éventuelle Pan-Europe allant de Lisbonne à Vladivostok ; ou encore aux différences entre cette dernière et la nouvelle Babel universelle tant rêvée.
La désinvolture avec laquelle cette planification accélérée est mise en place étonne. En effet, il y a en l'espèce une certaine analogie avec la feue URSS, dont l'écroulement catastrophique devrait convier les utopistes à une prudence bien plus grande. Car dans dans tout le territoire autrefois gouverné par les tsars, le citoyen soviétique sans droits, sans libertés, sans biens, modelé par soixante-treize ans de centralisation dictatoriale et de maintien de l'ordre carcéral et policier, fut-il autre chose que le précurseur de l'individu-masse planétaire ?
Soulignons une fois de plus le caractère policier sans lequel de tels édifices ne peuvent tenir et, rappelons les prisons, les camps de concentration, les prisons-hospices, etc., indissociables de ce caractère policier. Car là où il ne reste plus de vestige de liberté, on ne sait ce que pense véritablement chaque individu, et surtout ce qu'il dirait s'il pouvait s'exprimer librement. En conséquence, la masse humaine devient une inconnue pérenne et inquiétante contre laquelle le gouvernement « planétaire » ne se croira sûr que s'il se sent fort et tyrannique.
Un utopisme qui ne désarme pas même devant l'échec soviétique
Un beau jour de 1991, l’Union Soviétique s’est écroulée. Le monde entier s'imagina que la détente des forces réprimées durant si longtemps provoquerait des explosions ou des convulsions de tous ordres. Ce fut le cas, certes, mais dans des proportions si réduites qu'on s'en étonne. L'immense magma soviétique de peuples, de cultures et de possibilités économiques insondables, n'a presque pas bougé. Son mouvement a été celui d'un mendiant qui tend d'une main rachitique un chapeau troué à ses ennemis de la veille si injuriés et si calomniés, leur implorant les dollars, livres, francs ou marks dont il a besoin pour forger les instruments de son propre redressement.
Ils ont reçu leurs pièces Mais les mains dans lesquelles elles tombaient ne savaient plus travailler. Cette mendicité mélancolique n'a pas servi à grand-chose, car à ces mains manquait la vie. Le peuple s'était transformé en masse. Et le résultat est désolant : anémie, inertie, goût du vagabondage, alcoolisme...
Ce spectre devrait naturellement inviter à la réflexion les incorrigibles utopistes de l'Occident, qui ruminent encore tant de variantes optimistes de la chimère forgée par les révolutionnaires russes de 1917.
Mais non ! Ils poursuivent, avec une imperturbable sérénité, la téméraire réalisation de leurs plans. Et lorsqu'une nation riche en liberté et en vitalité s'est exprimé sans inhibition contre les rêves de Maastricht, beaucoup d'entre eux ont réagi comme s'ils avaient entendu un blasphème. D'autres, craignant de nouvelles défaites, n'ont pas songé à rectifier leurs plans. Ils se sont contentés de les conserver, intangibles comme des idoles, et d'en recommander une exécution plus lente, pour moins effrayer les peuples qui, tôt ou tard, devront s'y soumettre !
Français de 1992, accepterons-nous d'être traités en marchandise plus qu'en êtres humains, en masse humaine plus qu'en grand peuple authentique, soucieux de garder la continuité avec son passé, et conscient de la mission historique qui lui revient pour l'avenir ?
La Société Française pour la Défense de la Tradition, Famille et Propriété — TFP démentirait chacun des principes composant sa devise, si elle restait indifférente et silencieuse face à une question d'une gravité aussi extrême.
Dans la structure et le climat moral d'une Europe maastrichienne, les traditions s'étioleraient en effet et, à leur tour, la famille et la propriété entreraient en agonie. De cette agonie, elles iraient inévitablement à la mort dans le monde totalitaire qui engloutirait ceux de nos contemporains déjà réduits à l'état de masse. Elles y seraient emportées, comme poussière au vent, quand un tyran individuel ou collegial, peu importe, gouvernerait le monde du haut de la pyramide de toutes les technocraties et bureaucraties entrelacées autour de notre malheureuse planète.
C'est avec l'intention d'apporter son concours pour éviter pareil malheur que la TFP française publie cette prise de position, la soumettant cordialement à tous ses compatriotes qui se préparent à émettre un vote lucide et conscient, le 20 septembre prochain.
Organisation d'inspiration catholique constituée sans autre dépendance de la hiérarchie ecclésiastique que celle qui touche à l'intégrité de la foi et à la pureté des mœurs (cf. Code de droit canon, can. 227) la TFP constate cependant, au moment de clore ces considérations, que bien des valeurs spirituelles et temporelles compromises par l'aventure maastrichienne risquent d'être conduites à la défaite, même par une faible majorité, sans une action profonde de la grâce divine sur les âmes.
Cette action profonde sur les âmes, qui pourra nous l'obtenir ?
Un Français de la fin du Grand Siècle, peu connu à son époque mais que Pie XII a élevé sur les autels, saint Louis-Marie Grignion de Montfort, a diffusé en Bretagne et en Vendée une dévotion à la Très Sainte Vierge sous une belle invocation : Notre-Dame, Reine des Coeurs.
En ce terrible tournant de l'histoire de notre patrie et du monde, c'est Elle que nous implorons d'orienter le coeur des Français, au moment de choisir leur vote dans l'isoloir.
Portés par notre amour à la Civilisation chrétienne, aux Français et à tout le genre htunain, nous prions aussi saint Louis Roi de nous obtenir cette grâce tant désirée.
Paris, le 25 août 1992,
fête de Saint Louis, Roi de France
Société Française pour la Défense de la Tradition, Famille et Propriété