Par James Bascom
Du 18 avril au 11 mai, une exposition exceptionnelle de la Sainte Tunique d’Argenteuil – plus connue sous le nom de « tunique sans couture » de Notre Seigneur Jésus-Christ – se tient à la basilique Saint-Denys d’Argenteuil, à quelques kilomètres au nord-ouest de Paris. Organisée à l’occasion du Jubilé de 2025, cette exposition devrait accueillir 400 000 visiteurs, soit le double du nombre enregistré lors de la précédente exposition en 2016. Des dizaines de cardinaux et d’évêques sont attendus, soulignant l’importance de l’événement, en plus des groupes de pèlerins venus du monde entier.
Bien que la Tunique soit l’une des reliques les plus précieuses de la chrétienté, elle reste bien moins connue hors de France que le Saint Suaire de Turin, auquel elle est souvent comparée. L’exposition de 2025 offre toutefois à la relique une nouvelle visibilité et devient un lieu de grâces et de conversions à un moment où la France et l’Occident chrétien traversent des crises sans précédent.
Il s’agit de l’une des rares reliques mentionnées explicitement dans les quatre évangiles, avec des détails particulièrement précis dans celui de saint Jean :
« Quand les soldats eurent crucifié Jésus, ils prirent ses vêtements et en firent quatre parts, une pour chaque soldat. Ils prirent aussi sa tunique – mais elle était sans couture, tissée d’un seul morceau depuis le haut. Alors ils se dirent entre eux : “Ne la déchirons pas, mais tirons au sort pour savoir à qui elle reviendra”, afin que s’accomplisse l’Écriture : “Ils se sont partagé mes vêtements, et pour ma tunique, ils ont tiré au sort.” » (Jean 19, 23-24)
La Tunique est un manteau de laine brun-violet mesurant 122 cm de haut (probablement 148 cm à l’origine), 90 cm de large sous les bras et 130 cm au niveau de la poitrine. Elle a subi de nombreux dommages au fil des siècles, notamment à cause des guerres et des révolutions. La plus ancienne mention de son existence remonte au VIe siècle, époque à laquelle elle était vénérée à Jérusalem. Elle fut ensuite prise comme butin par le roi perse Chosroès II lors de sa conquête de la Ville sainte, puis rendue à l’empereur byzantin en 630, échappant ainsi à la conquête arabe de la Terre sainte.
L’impératrice byzantine Irène envoya une mission diplomatique à la cour de Charlemagne en 801 pour envisager une alliance matrimoniale. En cadeau personnel, elle lui offrit la tunique sans couture, symbole du désir de réunir les chrétientés d’Orient et d’Occident. En 813, Charlemagne confia la relique au couvent bénédictin d’Argenteuil, près de Paris, où sa fille Théodrade était abbesse. Depuis, la Tunique est restée à Argenteuil.
Au fil des siècles, la Sainte Tunique connut de nombreuses épreuves. En 885, elle fut cachée pour la protéger des raids vikings, puis oubliée jusqu’à sa redécouverte en 1152. Elle fut alors exposée à la vénération publique en 1156 en présence du roi Louis VII. Pendant les guerres de Religion du XVIe siècle, elle fut de nouveau dissimulée, avant de revenir dans des processions et vénérations publiques. L’épisode le plus tragique eut lieu en 1793, sous la Terreur révolutionnaire, lorsque le curé d’Argenteuil découpa la Tunique en plusieurs morceaux pour la « sauver », enfouissant certains fragments dans le jardin paroissial et distribuant les autres.
Le XIXe siècle vit la Tunique reconstituée et la vénération publique renaître. Ce fut aussi le début des analyses scientifiques, qui ont depuis renforcé les arguments en faveur de son authenticité. Les premières études, menées en 1892, ont montré que malgré les coupures infligées pendant la Révolution, l’étoffe de laine était à l’origine sans couture, et correspondait au tissage et au style d’un vêtement du Ier siècle en Palestine. Ces analyses ont également révélé des taches de sang humain. Des tests plus récents, réalisés en 1997 par André Marion, directeur de l’Institut d’Optique d’Orsay, ont démontré que les taches correspondaient à un homme ayant porté un objet lourd, et coïncidaient parfaitement avec les plaies visibles sur le Suaire de Turin.
Les sceptiques citent deux datations au carbone 14 : la première situe la Tunique entre 530 et 650, la seconde entre 670 et 880. Mais une marge d’erreur aussi large – 350 ans – souligne surtout les limites de cette méthode. La Tunique a été fortement contaminée au fil des siècles, ayant été enterrée, murée, imbibée de produits chimiques pour la préserver. Il est probablement impossible de la nettoyer suffisamment pour obtenir une datation fiable.
D’autres recherches scientifiques renforcent pourtant l’authenticité de la relique. En 2005, des tests ont révélé la présence de pollens de nombreuses plantes exclusivement présentes en Terre sainte, dont certaines se retrouvent également sur le Suaire de Turin. De plus, le sang présent sur la Tunique a été identifié comme étant du groupe AB, le plus rare au monde, pratiquement inexistant chez les Européens, mais relativement courant au Moyen-Orient. C’est aussi le groupe sanguin identifié sur le Saint-Suaire, sur le Suaire d’Oviedo et lors de nombreux miracles eucharistiques, comme celui de Lanciano en Italie. Ces résultats, sans être concluants, constituent néanmoins une accumulation sans précédent d’indices en faveur de l’authenticité. Pour l’historien français Jean-Christian Petitfils, auteur de La Sainte Tunique d’Argenteuil : Authentique relique de la Passion du Christ, et expert de l’histoire de la relique1 « le doute sur l’authenticité de la Sainte Tunique d’Argenteuil n’existe plus ».
Si la première mention évangélique de la Tunique s’accompagnait déjà d’un miracle (la guérison de la femme hémorroïsse), il n’est pas surprenant que des miracles lui soient encore attribués aujourd’hui. En 1151, peu après sa redécouverte, l’abbé Suger de Saint-Denys suggéra à Josselin de Vierzy, évêque de Soissons, d’effectuer un pèlerinage à la Tunique. Ce dernier, souffrant d’une forte fièvre, toucha la relique et fut immédiatement guéri, selon les témoins.
Les historiens rapportent plusieurs cas de nouveau-nés morts à la naissance revenus à la vie après avoir été touchés par la Tunique. En 1620, une pandémie cessa après que la Tunique fut portée en procession. De 1673 à 1746, pas moins de 11 enquêtes ecclésiastiques documentèrent des dizaines de guérisons miraculeuses attribuées à la Tunique. Le 16 juillet 1673, une jeune femme de vingt ans, Catherine Potel, paralysée des jambes depuis sept ans, fut amenée devant la Tunique dans une chaise spéciale. Elle fut immédiatement guérie, événement attesté par un chirurgien juré d’Argenteuil. De nombreux autres miracles, dûment attestés, ont continué à se produire au XIXe et au XXe siècle.
Mais plus encore que les guérisons physiques, ce sont les conversions spirituelles qui sont les plus extraordinaires. D’innombrables visiteurs ont été touchés par la grâce, retrouvant la foi, la ferveur, et un esprit de pénitence. Nombreux sont les non-catholiques – y compris des musulmans, de plus en plus nombreux en France – qui se sont convertis, notamment grâce aux grâces reçues à travers la relique. Il semble que l’Esprit Saint répande aujourd’hui des grâces en France, la fille aînée de l’Église, comme on n’en avait pas vu depuis longtemps.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Lors de l’Année de la Miséricorde en 2016, environ 200 000 pèlerins ont visité l’exposition. En 20252, ils sont estimés à 400 000, une progression remarquable en seulement neuf ans. Cette croissance accompagne une hausse spectaculaire des baptêmes d’adultes et d’adolescents. En 2025, plus de 17 000 adultes et adolescents ont été baptisés à Pâques, soit une augmentation de 45 % par rapport à 2024, 90 % par rapport à 2023, et 160 % depuis 2015. Encore plus impressionnant : ces conversions concernent surtout les jeunes. Les 18-25 ans représentent à eux seuls 45 % des conversions d’adultes.
Certes, ces chiffres restent modestes comparés à ceux de ceux qui quittent l’Église. Mais ils révèlent une réalité profonde : dans un monde de plus en plus incertain, de nombreux jeunes adultes – en France comme ailleurs – ont soif de vérité, d’orthodoxie, et de spiritualité traditionnelle catholique. Le fait que ce renouveau ait lieu au cœur d’une crise morale sans précédent, qui touche autant l’Église que le reste du monde, est peut-être le plus grand miracle de tous.
Source photo : Claude PIARD, CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons