On ne peut mieux comprendre l’importance de cette base familiale qu’en comparant, par exemple, la société médiévale, composée de familles, à la société antique, composée d’individus.
Dans l’Antiquité
Dans l’Antiquité, l’homme a la haute main sur tout : dans la vie publique, il est le civil, le citoyen qui vote, fait les lois et participe aux affaires de l’Etat ; dans la vie privée, il est le pater familias, le propriétaire d’un bien qui lui appartient en propre, dont il est le seul responsable et sur lequel ses pouvoirs sont quasi illimités.
Nulle part on ne voit sa famille ou sa lignée participer à son activité.
Sa femme et ses enfants lui sont entièrement soumis et restent dans un état de minorité perpétuelle.
Sur eux, comme sur les esclaves ou les biens, il a le jus utendi et abutendi, le pouvoir d’utiliser et de consommer.
La famille semble n’exister qu’à l’état latent ; elle ne vit qu’à travers la personnalité du père, à la fois chef militaire et grand prêtre, avec toutes les conséquences morales qui en découlent, y compris l’infanticide légal.
Dans l’Antiquité, l’enfant était le grand sacrifice, un objet dont la vie dépendait du jugement ou du caprice du père.
Il était soumis à toutes les éventualités de l’échange ou de l’adoption, et lorsqu’il se voyait reconnaître le droit à la vie, il restait sous l’autorité du pater familias jusqu’à sa mort.
Même à ce moment-là, ils n’acquéraient pas tous les droits à l’héritage paternel, puisque le père pouvait disposer de ses biens à sa guise par le biais d’un testament.
Lorsque l’État prenait en charge cet enfant, ce n’était pas du tout pour intervenir en faveur d’un être fragile, mais pour assurer l’éducation du futur soldat et du futur citoyen.
On pourrait étudier l’Antiquité – et on le fait – sous forme de biographies individuelles : l’histoire de Rome, c’est celle de Sila, de Pompée, d’Auguste ; la conquête des Gaules, c’est l’histoire de Jules César.
Au Moyen Âge
Il ne reste plus rien de cette conception dans notre Moyen Âge. Ce qui compte alors, ce n’est plus l’homme, mais la lignée.
Pour aborder le Moyen Âge, il faut changer de méthode : l’histoire de l’unité française est celle de la lignée capétienne ; la conquête de la Sicile est l’histoire des descendants d’une famille normande, trop nombreuse pour son héritage.
Pour bien comprendre le Moyen Âge, il faut le voir dans sa continuité, dans son ensemble.
C’est peut-être pour cela qu’il est beaucoup moins connu et beaucoup plus difficile à étudier que la période antique, parce qu’il faut le saisir dans sa complexité, le suivre dans la continuité du temps, à travers ces coupures qui en sont la trame.
Et il faut le faire non seulement par rapport à ceux qui se sont fait connaître par l’éclat de leur action ou l’importance de leur domination, mais aussi par rapport aux gens plus humbles des villes et des campagnes, qu’il faut connaître dans leur vie familiale si l’on veut se rendre compte de ce qu’était la société médiévale.
Cela s’explique par le fait que dans cette période de bouleversement et de décomposition totale qu’a été le Haut Moyen Âge, la seule source d’unité, la seule force qui soit restée vivante a été précisément le noyau familial, à partir duquel l’unité française s’est peu à peu constituée.
La famille et son assise territoriale ont donc été, par la force des choses, le point de départ de notre nation.
(Auteur : Régine Pernoud, « Lumière du Moyen Âge », Bernard Grasset Éditeur, Paris, 1944)
Source : https://gloriadaidademedia.blogspot.com/p/familia.html#19101306
Source photo : Haukurth, Public domain, via Wikimedia Commons