QUESTION
Je me demande s’il ne conviendrait pas également de critiquer l’importance excessive que le sport a acquise dans notre vie sociale. Je m’explique.
Il suffit de comparer le nombre de personnes qui se rendent chaque semaine dans les stades (ou qui regardent les championnats à la télévision) avec celui des personnes qui se rendent à d’autres activités d’un autre niveau, comme les concerts, les expositions d’art, les visites culturelles, etc.
Il me semble qu’avec la professionnalisation du sport, celui-ci passe du statut de loisir à celui d’un énorme business pour les joueurs, les clubs et les chaînes de télévision. C’est aussi une source de violence entre supporters, ou du moins de propagation de vulgarités telles que les insultes et les grossièretés qu’ils se lancent les uns aux autres.
Que pensez-vous de tout cela ?
REPONSE
Père David Francisquini
Je partage entièrement vos préoccupations. Dans mon ministère pastoral, j’ai constaté les dommages croissants que l’attrait excessif pour le sport cause à l’âme des jeunes et des adultes. Chez les plus jeunes, lorsque le sport devient une obsession, ils ne pensent qu’au ballon et au prochain match, négligeant leurs études, ainsi que leur développement spirituel à travers des activités culturelles saines et la pratique de la religion. Chez les adultes – surtout les hommes – le sport semble être le seul sujet de conversation, et regarder des matchs ou des championnats leur seule distraction, négligeant parfois même la vie de famille et la participation à des activités civiques, politiques et sociales.
Autrefois, le sport était pratiqué avec plus de parcimonie, l’intérêt qu’il suscitait occupait une place secondaire dans la vie des gens et dans la société en général, ce qui permettait l’épanouissement d’activités plus élevées, non liées au corps mais à l’âme. Dans ce contexte, le sport a un rôle bénéfique et est encouragé par l’Eglise.
Le corps comme temple de l’Esprit Saint
Comme le souligne un récent document sur le sport publié par le Dicastère pour les laïcs, la famille et la vie, le sport peut être décrit comme une constante anthropologique : « Le sport est un phénomène universel. Partout où les êtres humains vivent ensemble, ils aiment jouer, ils aiment perfectionner leurs aptitudes physiques ou se mesurer les uns aux autres. Probablement tout au long de l’histoire et dans toutes les parties du monde, les gens ont pratiqué ce que nous appelons aujourd’hui du sport » (cf. Donner le meilleur de soi-même, sur la perspective chrétienne du sport et de la personne humaine).
Dans ses écrits, l’apôtre Paul utilise souvent l’image de l’athlétisme, largement pratiqué par les Grecs, pour l’appliquer à la vie spirituelle et à son propre apostolat. Dans son épître aux Corinthiens, il dit : « Ne savez-vous pas que, dans le stade, tous les coureurs font la course, mais qu’un seul remporte le prix ? Alors courez ainsi : pour gagner. Mais l’athlète s’impose toutes sortes d’épreuves ; eux, pour gagner une couronne qui se fane, mais nous, une couronne impérissable » (1 Co 9,24-25). Et dans la deuxième épître à Timothée, se comparant aux gladiateurs des cirques romains, il écrit : « J’ai combattu le noble combat, j’ai achevé la course, j’ai gardé la foi. Mais il m’est réservé la couronne de justice que le Seigneur, le juste juge, me donnera en ce jour-là » (2 Tm 4,7-8).
Une explication théologique plus profonde de la pertinence de cette analogie a été offerte par le pape Pie XII lors d’une audience avec des sportifs italiens le 20 mai 1945, peu après la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Le pontife commence par souligner la raison d’être de notre nature corporelle : « Le corps humain est, en lui-même, le chef-d’œuvre de Dieu dans l’ordre de la création visible. Le Seigneur l’a destiné à germer ici sur la terre, pour s’épanouir immortellement dans la gloire du ciel. Il l’a unie à l’esprit dans l’unité de la nature humaine, pour que l’âme puisse goûter l’enchantement des œuvres de Dieu, pour l’aider à contempler dans ce miroir son Créateur commun, à le connaître, à l’adorer, à l’aimer » (cf. Discorso di Sua Sancta Pio XII agli sportivi italiani in Discorsi e Radiomessaggi di Pio XII, vol. VII p. 54-63).
Et il insiste sur le fait que saint Paul nous conduit à une vision encore plus haute : « Ne savez-vous pas, dit-il, que votre corps est le temple de l’Esprit Saint, qui habite en vous et que vous avez reçu de Dieu, et que vous ne vous appartenez pas à vous-mêmes, puisque vous avez été achetés à prix d’argent ? Glorifiez donc Dieu par votre corps » (1 Co 6, 19-20).
Or, poursuit Pie XII, « Quelle est la fonction et le but du sport, dans une conception saine et chrétienne, si ce n’est de cultiver la dignité et l’harmonie du corps humain, de développer la santé, la vigueur, l’agilité et la grâce ? En effet, lorsque le sport est « pratiqué avec modération et conscience, il fortifie le corps, le rend sain, frais et vigoureux » et, pour réaliser cette oeuvre formatrice, le sportif « le soumet à une discipline rigoureuse et souvent dure, qui le domine et le tient véritablement en servitude », ce qui suppose « l’entraînement jusqu’à la fatigue, la résistance à la douleur, l’habitude de la continence et de la tempérance sévère, conditions indispensables à ceux qui veulent remporter la victoire ».
Ainsi, le bénéfice du sport pratiqué avec modération « dépasse la simple robustesse physique, pour conduire à la force morale et à la grandeur » des hommes de caractère : « Le sport est un antidote efficace contre l’oisiveté et le confort de vie, il éveille le sens de l’ordre et enseigne la maîtrise de soi, le contrôle de soi et le mépris du danger sans vanité ni pusillanimité ».
Le corps au service de l’âme
Le pape Pacelli cite en exemple son prédécesseur, Pie XI, qui, après avoir été ordonné prêtre, pratiquait l’alpinisme, afin de « fatiguer sainement le corps pour reposer l’esprit et le préparer ainsi à de nouvelles tâches, affiner les sens pour acquérir une plus grande intensité de pénétration des facultés intellectuelles, exercer les muscles et s’habituer à l’effort pour tremper le caractère et former une volonté aussi forte et élastique que l’acier ».
On peut en conclure que le sport a une fin proche, qui est d’éduquer le corps, une fin plus lointaine, qui est de le mettre au service de l’âme, et une fin ultime, qui est de rapprocher l’homme de Dieu. Subsidiairement, elle peut contribuer à renforcer la camaraderie et la vie sociale. C’est pourquoi, depuis de nombreuses décennies, les paroisses et les associations catholiques mettent à la disposition des jeunes des centres sportifs où ils peuvent se rencontrer pour faire du sport dans un environnement sain qui les tient à l’écart des distractions immorales.
À ces avantages traditionnels du sport s’ajoute aujourd’hui un avantage en termes de santé publique. Depuis la révolution industrielle, l’humanité s’est libérée de la plupart des exercices physiques qui étaient autrefois nécessaires pour se déplacer ou pour effectuer toutes sortes de travaux manuels. Le revers de la médaille est que l’inactivité physique inhérente à la vie urbaine moderne a conduit à une série de problèmes tels que les maladies cardiaques, le diabète, l’obésité et l’ostéoporose. D’où la nécessité de compenser la sédentarité par le sport, dès le plus jeune âge.
Un problème se pose alors : comment savoir si la pratique sportive d’un individu ou d’un groupe social est modérée et raisonnable ou si elle est devenue exagérée ?
Le secret est de toujours garder à l’esprit que le sport « n’est pas une fin, mais un moyen ; comme tel, il doit être et rester ordonné à sa fin, qui consiste dans la formation et l’éducation parfaites et équilibrées de tout l’homme », nous enseigne Pie XII. Ainsi, le sport « est une aide à l’accomplissement diligent et joyeux du devoir, tant dans le travail que dans la vie familiale » et permet d’éviter de tomber dans « le matérialisme vulgaire, pour lequel le corps est tout l’homme ! » ainsi que « la folie de l’orgueil, qui ne s’arrête pas à ruiner la force et la santé de l’athlète par un effort insensé pour conquérir la palme de la victoire dans une compétition de boxe ou une course, et qui parfois l’expose imprudemment à la mort », comme c’est le cas de ceux qui augmentent leur endurance avec des anabolisants et d’autres formes de dopage.
Solution : rechristianiser la société
Et le Souverain Pontife de déplorer le phénomène que nous dénoncions au début de ces lignes et qui avait déjà commencé à se manifester il y a près de huit décennies : « Dans une regrettable inversion de l’ordre naturel, certains jeunes consacrent passionnément tout leur intérêt et toute leur activité aux rencontres et aux événements sportifs, aux entraînements et aux compétitions, mettant tout leur idéal dans la conquête d’un « championnat », mais n’accordent qu’une attention distraite et ennuyeuse aux fastidieuses nécessités de l’étude ou de la profession. Le foyer familial n’est pour eux qu’un hôtel où ils s’arrêtent presque comme des étrangers ».
Une autre difficulté, qui s’est accentuée au cours des dernières décennies, est la tendance des jeunes à prendre comme modèle suprême de la personne humaine les grands champions sportifs, qui gagnent d’ailleurs de véritables fortunes et mènent dans de nombreux cas une vie morale scandaleuse. Sa Sainteté Jean-Paul II a attiré l’attention sur ce danger et a lancé un appel aux athlètes olympiques : « Les athlètes du monde entier vous regardent, soyez conscients de votre responsabilité ! Non seulement le champion dans le stade, mais aussi l’homme avec toute sa personne doit devenir un modèle pour des millions de jeunes qui ont besoin de leaders et non d’idoles. Ils ont besoin d’hommes qui leur communiquent le goût du travail, le sens de la discipline, la valeur de l’honnêteté et la joie de l’altruisme. Votre témoignage cohérent et généreux peut les inciter à affronter les problèmes de la vie avec autant d’engagement et d’enthousiasme ».
Le document du Dicastère pour les laïcs, la famille et la vie dénonce également le mauvais comportement des supporters lors des événements sportifs : « Dans certains cas, les spectateurs sont méprisants envers les adversaires ou les arbitres. Ce comportement peut dégénérer en violence, qu’elle soit verbale (chants haineux ou jurons) ou physique. Les bagarres entre supporters rivaux violent le fair-play qui devrait toujours régner lors des événements sportifs. [De plus, les supporters qui ne respectent pas les athlètes s’en prennent parfois physiquement à eux ou ne cessent de les insulter ou de les dénigrer. Ce manque de respect se manifeste parfois à l’égard des membres de l’équipe elle-même lorsqu’ils réalisent des performances supérieures à ce qu’ils devraient être. »
Tous ces aspects répréhensibles du sport moderne, surtout dans la sphère professionnelle, sont le résultat de la déchristianisation et de la paganisation conséquente de la civilisation occidentale, qui a privé les gens de la vision religieuse de la vie, de l’aspiration à de grands idéaux, du goût pour les choses supérieures de l’esprit (la vérité, la bonté et la beauté) et du désir de se perfectionner et de développer sa propre personnalité.
Pour maintenir un simulacre de vie individuelle et sociale, l’homme moderne – massifié, hédoniste et matérialiste – a été compensé par la possibilité d’encourager son équipe ou son idole sportive, dans le stade ou devant l’écran de télévision, de la même manière que les Romains décadents de l’Antiquité étaient maintenus passifs grâce à la recette populiste bien connue des dictateurs : panem et circenses (« du pain et des jeux »).
Pour rétablir l’équilibre, il faut d’abord rechristianiser la société, sinon tous les efforts seront vains. Une fois cette étape franchie, on peut appliquer sans crainte la recette que le plus grand éducateur de la jeunesse, saint Jean Bosco, a donnée aux prêtres de la congrégation salésienne : « Il faut laisser aux élèves toute latitude pour sauter, courir et crier à leur guise. La gymnastique, la musique, la déclamation, le théâtre, les promenades, sont les moyens les plus efficaces pour obtenir la discipline et promouvoir la moralité et la santé » (cf. Le système préventif).
Que Notre Dame, Marie Auxiliatrice, pour laquelle Don Bosco avait une grande dévotion, obtienne de son divin Fils la victoire de l’Eglise catholique sur ses ennemis, afin que le monde retrouve les voies de la normalité et de la sainteté qui régissaient les temps de la chrétienté.
Source : https://www.tesorosdelafe.com/articulo-1843-deportes-de-la-recreacion-a-la-obsesion
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