L’Argentine traverse aujourd’hui un tournant démographique sans précédent : pour la première fois, les foyers sans enfants ni adolescents sont majoritaires, représentant désormais 57 % des ménages contre 44 % en 1991. Ce renversement, révélé par l’Observatoire du développement humain et de la vulnérabilité de l’Université australe, n’est pas une simple statistique : c’est le signe d’une famille argentine en voie d’effritement.
La fécondité nationale, déjà inférieure au seuil de remplacement depuis le début du siècle (1,7 enfant par femme), a chuté à 1,4 en 2022, marquant plus de 40 % de baisse en moins de dix ans. Cette érosion s’exacerbe dans les zones urbaines, auprès des classes sociales supérieures et des femmes les plus éduquées, où le nombre moyen d’enfants s’effrite encore davantage. À Buenos Aires, surtout, la moyenne tombe à 0,9 enfant par femme, contre 1,7 dans certaines provinces du nord.
Ce glissement structurel ne peut se dissocier des aléas économiques. Les chercheuses Lorena Bolzon, Dolores Dimier de Vicente et María Sol González soulignent la corrélation étroite entre natalité, PIB, emploi et stabilité sociale : dans un climat d’incertitude financière, les Argentins repoussent ou renoncent à avoir des enfants. Or, le report répétitif des naissances pèse lourd sur l’avenir du pays : une pyramide des âges qui se transforme en « oignon », des ménages de plus en plus petits et un solo croissant de chefs de famille monoparentale, à 80 % féminins.
Les adolescentes ne sont pas épargnées par cette mutation : la proportion de jeunes filles de 15 à 19 ans devenues mères est tombée de 12,4 % en 2001 à 6,4 % en 2022, signe d’un recul global de la reproduction, mais aussi d’une rupture du lien intergénérationnel. Dans le même temps, l’espérance de vie atteint 72,8 ans, accroissant la proportion de plus de 65 ans et alourdissant la charge de soins, surtout supportée par les femmes.
Cette conjonction de ménages unipersonnels en expansion (25 % des foyers aujourd’hui contre 13 % il y a trente ans), de familles réduites à deux membres et d’une population vieillissante dessine un avenir où la cellule familiale, pilier de la société catholique, risque de perdre sa substance. L’Observatoire insiste sur l’urgence d’une politique familiale intégrée, interconnectant logement, emploi, santé et éducation pour renverser cette dynamique.
Les conséquences économiques se font déjà sentir : la proportion décroissante d’actifs par retraité menace la viabilité du système de retraite et alourdit la pression fiscale sur une population active réduite. Les secteurs hospitaliers et de soins se trouvent débordés, faute de jeunes professionnels, tandis que le manque de renouvellement générationnel fragilise l’innovation et la croissance. À terme, sans un renforcement rapide de la natalité, l’Argentine risque une implosion sociale, confrontée à une classe laborieuse insuffisante pour soutenir le devoir de solidarité intergénérationnelle.
Dans ce contexte, l’Église catholique porte un message d’espérance et de responsabilité : il est temps de raviver la vocation familiale, socle de la transmission des valeurs chrétiennes. Les pouvoirs publics doivent instaurer des mesures fortes : allocations parentales ambitieuses, réductions d’impôts pour les foyers nombreux, soutien aux crèches et à la garde d’enfants, et protection du congé maternité et paternité. En parallèle, les paroisses et mouvements de jeunesse sont appelés à promouvoir la beauté du mariage et de la maternité, offrant accompagnement et formation aux futurs parents.
Au-delà des politiques et des discours, c’est un véritable sursaut culturel qui s’impose : redonner à la famille le statut qu’elle mérite, non comme simple cellule démographique, mais comme creuset de la vie spirituelle, affective et sociale. Sans cet élan, l’Argentine courra le risque de voir éclore une société individualiste et isolée, où l’enfant ne serait plus qu’une option parmi d’autres.
Pour le croyant, chaque naissance est un don ; pour la nation, elle est un impératif de survie. Le temps presse : bâtir l’avenir, c’est d’abord recréer la joie de fonder une famille.
Source photo : Image par Santiago Manosalva de Pixabay